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accorder à M. Rigal, c’est que le caractère « romantique » du théâtre de Hardy dépende uniquement de l’organisation matérielle de la scène au commencement du XVIIe siècle, et, en particulier, de la nécessité de conformer le choix de ses sujets aux exigences du décor multiple ou simultané. Non que je méconnaisse l’intérêt de la découverte, — car c’en est une, — ou que j’en veuille diminuer l’importance : M. Rigal me paraît avoir parfaitement montré qu’en héritant de la salle de l’hôtel de Bourgogne, la troupe de Hardy avait également hérité comme qui dirait de ses décors, et de la manière de les planter. C’était celle du moyen âge. Tout autour de la scène, dans un ordre et à des intervalles réglés sans doute par la nature du sujet, on disposait donc la figure des lieux où devait successivement se transporter l’action, de telle sorte qu’ils fussent tous à la fois présens aux yeux des spectateurs, et, ordinairement, pour la durée entière de la représentation. « Au milieu du théâtre, — lisons-nous dans un manuscrit dont personne encore n’avait tiré parti plus ingénieusement que M. Rigal, — il faut une chambre garnie d’un superbe lit, lequel se ferme et ouvre quand il en est besoin. A un côté du théâtre, il faut une forteresse... Autour de ladite forteresse doit avoir une mer haute de deux pieds huit pouces, et à côté de la forteresse, un cimetière... Une fenêtre d’où l’on voit la boutique du peintre, qui soit à l’autre côté du théâtre, et, à côté de la boutique, il faut un jardin ou bois, où il y ait des pommes, des grignons, des ardans et un moulin. » Cela fait en tout cinq compartimens, comme on voit, ou cinq mansions, ainsi qu’on disait au moyen âge ; et, à la vérité, si le décor est multiple, il ne resterait plus, pour s’assurer qu’il est simultané, qu’à connaître la pièce qui s’y jouait[1], mais voici, d’autre part, un texte qui semble trancher la question : « Il ne faut pas, dit l’auteur anonyme du Traité de la disposition du poème dramatique, il ne faut pas introduire ni approuver la règle qui ne représente qu’un lieu dans la scène. Par exemple, il se tient aujourd’hui, à même heure et en même temps, un conseil de guerre à Paris et à Constantinople... Si des intelligences qui peuvent être de part et d’autre, il doit réussir quelque belle action pour en représenter le commencement, le milieu et la fin, il faudra pratiquer dans le théâtre la ville de Paris et celle de Constantinople. » Mais que maintenant, de cette manière d’entendre et de disposer le décor, il résultât pour le théâtre une obligation de choisir de certains sujets ; qu’il s’ensuivît pour Hardy la nécessité de s’adresser « aux yeux plutôt qu’à l’âme, à la curiosité plutôt qu’à la raison ; » et qu’enfin, bien loin d’être libre

  1. Ce décor est en effet celui d’une tragi-comédie de Durval, donnée en 1635, sous le titre d’Agarite, que je ne connais point, et dont l’analyse que donnent les frères Parfaict ne m’a même pas permis de me faire une idée.