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une certaine dose de bien-être matériel, le spectacle de la nature sous ses aspects calmes et reposés, le bonheur domestique, les affections de famille, l’amour doux et naïf, étranger aux violences de la passion comme aux raffinemens de la volupté.

Quelles conclusions tirer de ces études?

Si, depuis 1830, la poésie flamande n’a produit aucune de ces œuvres maîtresses qui forcent l’admiration du monde entier et suffisent à la gloire de plusieurs générations, sa renaissance n’en prouve pas moins que les sources de l’inspiration ne sont pas taries chez la race. Historique et bourgeoise chez Ledeganck, tantôt fantastique, tantôt satirique, mais toujours populaire chez Van Ryswyck, bourgeoise encore, morale et pittoresque chez Van Beers, cette inspiration féconde aujourd’hui, dans une génération nouvelle, une pléiade de talens qu’il serait prématuré de juger. Les uns, qui reconnaissent pour chef de file le curé Gezelle, s’efforcent d’élever les dialectes locaux, surtout celui de la West-Flandre, à la hauteur d’une langue littéraire; d’autres comme l’Anversois De Geyter, voudraient ressusciter le thiois du moyen âge et en faire le véhicule des idées les plus démocratiques ; d’autres encore, comme Pol Demont, érudits et parnassiens dans la forme, pangermanistes par les tendances, rêvent le rapprochement des deux races et des deux langues sœurs, celle de la plaine et celle de la montagne.

Tous nous semblent avoir abandonné le bon chemin, celui qu’ont suivi Ledeganck et Van Beers, qui, tout en s’élevant par l’idée comme par la langue au-dessus de la grossièreté et de la platitude de la grande majorité de leurs lecteurs, sont cependant restés intelligibles pour tous.

Maintenant ce chemin, — ou tout autre, — peut-il les mener quelque part?

Van Beers lui-même paraît en douter. Voici ce qu’il dit dans un morceau adressé à ses fils et qui, par la noble simplicité de la forme, comme par la sincérité du sentiment et l’élévation des idées, est peut-être son chef-d’œuvre :

« Hélas ! ce peuple si richement doué languit ; il a faim et soif, et qui lui donne le pain de l’intelligence et le vin du sentiment? La classe supérieure dont ce serait le devoir sacré de nourrir et de fortifier par la parole le peuple dans le rude combat de la vie, a renié avec une légèreté dédaigneuse la langue du peuple et ainsi il se forme insensiblement entre ce qui est en haut et ce qui est en bas un nuage de ténèbres, sous lequel le peuple s’enfonce de plus en plus dans le marais de la superstition et de l’abrutissement……………..

« Et maintenant, allez, et, dans un pareil milieu, parlez la langue