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majestueux pour des idylles rustiques ou bourgeoises. Ici le poète en a pourtant tiré un très heureux parti, et, la liberté du rythme compensant sa gravité, il a su le plier aux exigences d’un dialogue souvent très familier, évitant de donner comme Goethe à ses personnages l’air de dieux de l’Olympe en veste de bure et causant d’affaires de ménage.

Van Beers est religieux, chrétien même, et, comme la plupart des Flamands, il paraît plus sensible encore à la poésie du culte qu’à celle des croyances. Il n’y a dans son œuvre rien dont puisse s’offenser la plus sévère orthodoxie, sauf la dernière, en date de ses compositions, le Confiteor, qui a mis tout le public flamand en émoi. C’est une profession de foi de déisme rationaliste, éloquente et courageuse dans un temps où, entre le dogmatisme affirmatif des catholiques et le dogmatisme négatif des matérialistes, aussi absolu l’un que l’autre, il n’y a guère de place pour la raison et la tolérance. Malheureusement, après avoir plané dans les hautes sphères de la philosophie religieuse et historique, le poète descend dans les régions basses de la politique du jour, et son épître, — car c’en est une, et presque classique, — se termine en queue de poisson par une allusion à la lutte engagée entre les partis à propos de l’organisation scolaire.

Parmi les dons du génie, celui qui a le plus complètement manqué à Van Beers c’est la fécondité. Trois volumes, voilà tout ce qu’il a produit en un demi-siècle. Il est vrai que ses devoirs professionnels ont absorbé la meilleure partie de son temps. Au point de vue littéraire, l’homme est d’ailleurs paresseux avec gloire et volupté. Il ne prend la plume qu’à la dernière extrémité, lorsqu’il est par trop tourmenté du démon de la poésie. Il travaille lentement, finissant avec amour et ne donnant ni un détail, ni un mot au hasard, à la façon de ces maîtres hollandais qui mettaient trois jours à peindre un manche à balai et six semaines à achever la main d’une vieille femme. Il y a dans ses simples récits tant d’art que l’art s’y efface, tant d’efforts qu’on n’y voit plus l’effort, et qu’ils paraissent couler de source.

Du reste, chez lui, pas de traits brillans, pas de vives saillies, pas d’inspirations grandioses, pas d’accens passionnés qui étonnent, secouent, transportent. Il est difficile de détacher de ses poésies un passage à citer. Tout y concourt à un effet d’ensemble. Pas d’esprit non plus, au sens français du mot, pas de ces allusions de mots ou d’idées dont jaillisse quelque subite étincelle, quelque lumière éblouissante. Il charme l’œil par la richesse solide de son coloris et le repose par une lumière douce et égale.

Il y a, dans l’œuvre de Van Beers, une parfaite unité et une sincérité entière. Son idéal, c’est l’idéal flamand ; la vie réglée et paisible,