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le jour de la kermesse, il juge les Français d’après les commis-voyageurs avec lesquels il a dîné à table d’hôte, et les cabotines qu’il a vues sur les planches échangeant des signes et des regards avec les abonnés d’un théâtre de troisième ordre. Paris est pour lui, à la lettre, la grande prostituée de Babylone, la sentine de tous les vices, le foyer de toutes les corruptions. Volontiers il verrait construire, le long de la frontière méridionale de sa chère Flandre, un mur de cent pieds de haut, qui rendrait tout commerce et toute contagion impossibles.

Ledeganck est incontestablement un poète, il a la simplicité du cœur et le sentiment de la nature. Est-ce un grand poète ? Ses com- patriotes, qui sont aussi les miens, m’en voudront peut-être de poser cette question, et de me dispenser de la résoudre. Il a en tout cas le grand et rare mérite, venant après une époque de pro- fonde décadence, d’avoir trouvé du premier coup une langue poétique presque définitive.


III.

La ville d’Anvers a élevé une statue au poète Théodore Van Ryswyck. Après avoir lu son œuvre, on se demande ce qui justifie un pareil honneur et la popularité qu’il consacre. C’est ici le cas ou jamais de tenir compte du milieu.

Né le 7 juillet 1811, Théodore Van Ryswyck était l’aîné des sept enfans d’un tisserand. Il apprit à lire, à écrire, les quatre règles, quelques bribes de français, et fut mis en apprentissage chez un sculpteur, puis chez un peintre décorateur. Nous le voyons successivement moniteur dans la classe de son père, volontaire dans un des corps francs formés à l’époque de la révolution de 1830, enfin, soldat dans l’armée belge, et mauvais soldat, indiscipliné, turbulent et poltron. Mal noté de ses supérieurs, il est, grâce à son humeur gaie, franche et cordiale, l’idole de ses camarades et des petits bourgeois pour qui on lui donne des billets de logement. Libéré du service, il devient en 1836 employé au mont-de-piété d’Anvers, aux appointemens de 410 francs l’an. Il partage ses loisirs entre le cabaret et la poésie. Du temps qu’il était soldat, il avait dans son havresac les œuvres de quelques poètes hollandais, Cats, Tollens, Bilderdyk, Helmers. C’est d’eux qu’il apprit à rythmer et à rimer. Doué d’une grande facilité de travail, il aborda successivement tous les genres : le conte en vers, l’ode sacrée et profane, la ballade, enfin la chanson populaire et satirique.

Dans la Belgique flamande, on lit encore moins de vers qu’ailleurs, aussi les recueils successivement publiés par Van Ryswyck