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a été un Israélite. Le gouvernement vendait volontiers aux juifs ses impôts, ses douanes, le droit exclusif de pêche dans les divers lacs du pays, ses fermages de poids publics, de tannerie, d’extraction de cire, de vente de sel, de fabrication de divers objets. Toutes les fois qu’un monopole était créé dans la régence, un juif en devenait adjudicataire. »

Les Israélites de Tunisie comme ceux d’Algérie avaient encore une spécialité dont il serait difficile de les louer; ils avaient le privilège de se rendre acquéreurs des prises que les pirates apportaient dans les ports barbaresques ; ces prises en leur pouvoir, ils les envoyaient à Livourne où ils les faisaient vendre. Ce sont ces transactions avec le dehors qui leur donnèrent l’ingénieuse idée des lettres de change.

Les privilèges accordés à une race étrangère, non musulmane, devaient fatalement lui susciter la légitime jalousie de ceux que cette race exploitait. Ne semble-t-il pas que la question sémitique d’alors ne diffère guère de ce qu’elle est de nos jours et non-seulement en Afrique, mais encore en Europe?

Les indigènes de la régence saisissaient toutes» les occasions pour se venger des juifs. Ceux-ci, poussés à bout, abreuvés d’outrages, faillirent un jour se révolter, et voici dans quelle curieuse circonstance. Un capitaine italien, capitaine au long cours, fut surpris en conversation criminelle avec une femme musulmane; ceci était déjà grave; mais, ce qui l’était davantage, c’est que la conversation s’était tenue dans la maison d’un fils d’Israël, lequel, bien entendu, n’avait pas prêté son logis sans rétribution. La foule, indignée, se saisit des trois coupables; elle les conduisit jusqu’aux pieds du trône du bey Hamouda, lequel, d’après la formule orientale, les fit exécuter sans délai. Le capitaine, par faveur spéciale, eut la tête tranchée; la musulmane lut pendue, et le juif brûlé vil. Cette graduation dans les peines explique toute une époque. L’effervescence des colonies juives et chrétiennes fut grande, et les consuls eurent fort à taire pour l’apaiser. A partir du jour où leur coreligionnaire monta sur le bûcher, les juifs de la régence saisirent toutes les occasions de se soustraire à l’autorité d’un gouvernement aussi cruel qu’arbitraire, et, autant qu’ils le purent, ils se placèrent sous la protection des représentans des puissances d’Europe. Puis ils devinrent plus accapareurs, plus rapaces que par le passé, cachant sous des haillons sordides leur fortune et leur or afin de ne pas être trop rançonnés, comme aussi pour pouvoir obéir aux demandes d’argent qui leur étaient faites par les beys et leurs ministres.

Au Maroc, les israélites, confinés dans un ghetto comme au moyen âge, ont encore gardé l’habitude de cacher leur aisance sous une