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il est à peu près certain que dès la fin du XIe siècle de notre ère, les Juifs occupaient à Carthage une situation brillante. Loin d’être bannis et pourchassés comme ils le furent tout à la fois, ce sont eux qui persécutèrent les premiers chrétiens débarquant en Afrique. Les pères de l’Église les accusent d’être cause des martyres de saint Cyprien et de sainte Perpétue, exécutés à Carthage. Tertullien a dit à leur sujet : Seminarium est infamiœ nostrœ. On sait que l’Évangile, en se propageant, changea les rôles, et l’Europe, devenue chrétienne, s’acharna contre les fils d’Israël. À la suite de la destruction du temple de Jérusalem, Titus en avait fait transporter plusieurs milliers dans la province péninsulaire d’Afrique. Ces exilés reprirent l’existence pastorale, nomade, de leurs ancêtres. Il en reste encore, paraît-il, des descendans aux alentours de Gabès, sur la frontière algérienne et dans les montagnes de la Kroumirie. Un certain nombre d’Israélites vint encore en Tunisie à la suite des armées victorieuses des mahométans ; les vainqueurs, après avoir chassé les Grecs qui y avaient été amenés par Bélisaire, fondèrent Kairouan et permirent aux juifs de s’y établir. M. Cazés explique ainsi le motif de l’entente qui existait entre les deux peuples, depuis si divisés : « Les israélites voyaient sans doute dans les sectateurs de Mahomet des amis, venus comme eux de l’Orient, parlant une langue presque identique à la leur, proclamant comme eux l’idée d’un dieu unique, dont les temples, dépourvus d’images et de symboles, contrastaient singulièrement avec les églises des anciens maîtres du pays. Il n’est donc pas étonnant qu’un grand nombre d’entre eux se soient attachés aux nouveaux arrivans. » Cela ne dura guère. Les juifs furent chassés de la ville sainte, et, dès lors, ils n’eurent pas de plus implacables ennemis que les descendans de leurs premiers protecteurs. Ce qu’il y a vraiment d’étrange, c’est qu’aujourd’hui, comme autrefois, les Arabes, dès qu’ils ont des ventes et des achats importans à faire, ne peuvent éviter d’avoir recours à ceux qu’ils exècrent et méprisent. Ils n’éprouvent aucun scrupule à piller ceux avec lesquels ils ont traité. N’est-ce pas à peu près ce qui se passé en ce moment dans les localités antisémitiques d’Europe ? Au beau temps de la piraterie, les beys, leurs ministres, les gros pachas et les hauts fonctionnaires n’agissaient pas d’autre façon. Quelle a donc été l’origine de tant d’injustices ? C’est parce que les israélites étaient chargés par ces mêmes personnages des emplois les plus lucratifs, perception des impôts, gestion des finances et administration des revenus. Ils avaient, en outre, entre leurs mains tous les monopoles et toutes les fournitures de l’État, dit M. Cazés : « C’est ainsi que, depuis un temps immémorial, le receveur général de la régence