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complètement aux indigènes pour nous nuire; mais ils n’en sont pas moins plus Tunisiens que les Tunisiens eux-mêmes.

Près du tiers de la population, à Tunis, est composé d’Israélites. Ainsi qu’à Alger et à Oran, ils forment un groupe considérable comme action. Entre leurs mains se trouvent les banques, les changes, le courtage, l’usure et jusqu’à la spécialité de la vente des antiquités « modernes. » Ils ont la force, car ils ont les capitaux qui leur assurent le haut commerce ; ils pénètrent partout, ayant le don des langues; ils ont le monopole des métiers lucratifs, car ils achètent ces monopoles à beaux deniers comptans, et ce qu’il y a de terrible en eux, c’est que leur âpreté au gain, leur activité, ne s’éteignent qu’à la mort. Les Israélites ne nous sont pas hostiles au point de vue de notre domination, et ils se prêtent assez volontiers, — toujours contre finance, — à servir d’intermédiaires entre nous et les Arabes. Aujourd’hui, c’est le colon français qui les hait plus que les musulmans ne les détestent, et cela tient à ce qu’ils occupent des postes et jouissent d’un bien-être que lui, pauvre émigrant sans sou ni maille, ne peut obtenir; c’est


Le pelé, le galeux, d’où lui vient tout le mal...


Le colon ne sait pas toujours que les fils d’Israël ont sur lui l’avantage d’être chez eux dans la régence, qu’ils y sont presque tous nés et que, depuis une époque qui remonterait aux Pharaons, leurs ancêtres y sont venus. Il n’y a qu’à voir, pour s’en douter, avec quelle superbe, quel luxe de chaînes d’or et de breloques, d’étoffes riches et soyeuses, les familles juives se promènent, le samedi, leur jour férié, sur les allées ensoleillées de la Marine. On voit que là elles sont bien chez elles. Des femmes de tous les âges, aux petits bonnets et aux jambières dorées, aux vestons de satin soutaché, aux fins caleçons d’où débordent des formes sinon appétissantes, du moins rebondies, y font briller des coraux, des perles, des diamans à éblouir un aveugle. Quel contraste avec les Maltaises, les Siciliennes et nos petites Françaises, simplement habillées de percale et ne portant au poignet qu’un porte-bonheur de nickel!

M. D. Cazès, chargé par l’Alliance israélite d’une mission de confiance en Tunisie, a publié une histoire érudite sur l’entrée des Juifs dans la régence depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours[1]. Sans remonter comme lui jusqu’aux Pharaons,

  1. Chez Armand Dorlacher. Paris, 1889.