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telles fureurs ne trouvera pas de repos dans sa foi. Ici encore, jusque dans sa religion, Frédéric-Guillaume est inquiet. Il sait bien que c’est son devoir « d’étendre l’honneur de Dieu et le royaume de Jésus-Christ. » Il voudrait que ses sujets sentissent dans leur cœur la parole de Dieu, comme il la sent dans le sien. Mais il n’est pas content de lui. « Je suis un méchant homme, disait-il à Francke. Si je suis bon un jour, je redeviens méchant le lendemain. » Il craint pour le salut de son âme. « Ah! oui, c’est bien difficile d’aller au ciel! (Ya, es ist schwer in Himmel zu kommen !) » Difficile pour un roi surtout, qui est responsable non-seulement de ses péchés, mais encore de ceux qu’il laisse ou fait commettre. C’est pourquoi, dans les momens de mélancolie, il parlait d’abdiquer : « Je ne vois pas d’autre moyen de faire mon salut, et je voudrais tant faire mon salut! » Il se voyait alors retiré dans sa maison de Wüsterhausen, avec dix mille écus par an. Il partagerait entre sa femme et ses filles le soin du ménage : « Moi, je prierai Dieu et j’aurai soin de l’économie de la campagne. »

Il semblait né en effet pour cette vie de gentilhomme campagnard. Il aurait à merveille exploité sa terre ; il l’aurait améliorée chaque année. Il aurait détriché ce bois, desséché ce marais, établi une brasserie, une distillerie, construit de nouveaux bâtimens, assuré la vente de ses produits. Il aurait tenu tout son monde sous une discipline exacte, se serait mêlé de tout, de la lingerie, de la cuisine, des confitures comme du reste. Il aurait été sur le dos de tout le monde à la fois. Il aurait injurié et frappé. Il eût été le plus passionné chasseur parmi les Juncker du Brandebourg. Il eût tenu tête aux plus forts mangeurs et buveurs dans des repas pantagruéliques. Le soir, il aurait fumé sa pipe avec des voisins et avec ses gens. Il aurait discuté sur l’ensemencement, sur l’engrais, parlé de chasse, comparé les mérites des vins et des bières, discuté sur la grâce et le péché originel. Il aurait prié Dieu avec les siens et tout seul, lui demandant, en toute simplicité, d’épargner la grêle à ses moissons, et de la réserver aux champs d’autrui. Il aurait chanté les psaumes à l’église et à la maison, et trouvé dans la Bible des applications de christianisme actif pour ses intendans et ses serviteurs. Il aurait voulu que son fils lui ressemblât, et ne lui aurait pas pardonné de faire le petit monsieur de ville. Il aurait économisé sur ses dix mille écus. Il aurait ajouté à cette économie la plus-value annuelle de ses terres, car, chaque année, il aurait produit ein Plus. Il se serait enfin endormi dans le Seigneur, laissant à son héritier les plus belles terres du pays, et un bon magot pour les faire mieux valoir encore, pour acheter tel domaine d’à côté, ou encore pour gagner les procès qu’il avait toujours eu