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à ces « applications » au service du roi de Prusse. Aussi le Dieu de Frédéric-Guillaume est-il le Dieu d’Israël, le Dieu des armées, celui qui, dans sa colère, punit et se venge. Il a dû être sensible à la poésie de la Bible, comme à la musique de Haendel, et tressaillir au chant de certains psaumes ; mais son oreille était sourde aux douces paroles de l’Évangile et aux paraboles mystiques. S’il avait jamais médité les invitations évangéliques à la pieuse inertie, à la sainte paresse sur le sein du Seigneur, il n’eût pu réprimer une protestation intérieure. Les textes qui parlent des oiseaux du ciel, nourris par la main divine, et des lis vêtus de splendeur, bien qu’ils ne filent point, lui auraient paru d’une application dangereuse. Si ses yeux sont tombés sur le récit de la visite de Jésus chez Lazare, il a dû tourner vite la page, pour ne pas donner raison à Marthe contre Marie, car, à la place du Seigneur, il aurait donné des coups de canne à Marie. Il a confessé son impuissance à comprendre la charité du Christ. « Vous n’allez pas m’enseigner, dit-il au pasteur Francke, que, si l’on me donne un soufflet, je dois tendre l’autre joue. » — « Les paroles du Christ sont là, répond le pasteur, et ne peuvent être changées. » Francke explique alors que le Seigneur ne commande pas absolument l’offre de l’autre joue et qu’il a voulu seulement interdire la vindicte privée. « Oui, reprend le roi, nous sommes dans une situation terrible; si nous voulons tout laisser faire, nous passons pour des fainéans et des lâches; si nous voulons nous venger, nous courons le péril de perdre notre âme ou de perdre celle d’autrui. Que faire? » Francke : « Je sais bien ce que je ferais. » Le roi : « Je le sais aussi. Tu dirais à celui qui t’attaquerait : Mon cher ami, cela me fait de la peine que vous soyez tombé dans le péché. Dieu vous le pardonne! » Francke : « Précisément, et ce que je ferais, d’autres le peuvent faire. » Le roi : « Oui, mais pas moi. Pour moi, cela ne va pas! »

Ce n’est donc pas le Dieu de miséricorde que Frédéric-Guillaume invoque dans ses courtes prières ou consulte dans de longs entretiens intimes. Un jour, il a fait à Ilgen, qu’il accusait de partialité à l’égard de l’Angleterre, des reproches si violens que le malheureux s’est mis à pleurer, puis s’est évanoui, ce qui a terminé la délibération. Le roi déclare « qu’il va monter à cheval pour prier Dieu. » Il chevauche pendant quatre heures, absolument seul, à travers champs. « A son retour, il vomit toutes les horreurs imaginables contre le roi d’Angleterre et ses ministres, disant qu’il tirerait une vengeance éclatante. » Rottenbourg, qui tient d’Ilgen le récit de la scène, ajoute : « Le temps et la pudeur ne me permettent pas de répéter les infamies et les obscénités dont il a chargé son discours. » Le chrétien à qui son Dieu inspire de