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du château. Celui-ci désigna un diacre qui pouvait faire l’onction de censeur. Le diacre reçut l’ordre de se rendre à la représentation du soir et de se placer en vue du roi. Il écouta de toutes ses oreilles, et, bientôt, offensé d’un passage, il tira ses tablettes pour le noter. Le roi, qui le regardait, remarqua l’inconvenance du propos, se leva, quitta la salle, et, le soir même, ordonna aux comédiens de sortir de la ville dans les vingt-quatre heures, avec défense d’y jamais revenir.

Ainsi, même les marionnettes avaient leurs défauts, et les plaisirs du théâtre leurs amertumes. On voulait faire croire au roi que la chasse elle-même n’était pas innocente et que l’âme d’un chrétien y courait des périls, mais ce fut peine perdue : il demeura un chasseur passionné. En Prusse, il faisait campagne contre l’ours et l’aurochs. En Brandebourg et en Poméranie, il chassait le cerf, le sanglier, le faisan, le héron, le lièvre et la perdrix. Il mettait dans ce divertissement une vraie fureur. Il tirait, en un jour, jusqu’à six cents coups de fusil sur des perdreaux, pour en abattre une centaine. Les chasses au sanglier étaient d’immenses massacres. Mais le vrai plaisir était de forcer le cerf. Des parcs de plusieurs milles carrés étaient aménagés pour cette « chasse par force.» Le roi suivait au trot et au galop, pendant quatre, cinq ou six heures, les chiens qui harcelaient la bête. Dans les chasses seulement, il aimait le luxe. L’entretien des parcs lui coûtait des sommes considérables. Sa meute était recrutée avec soin et mieux logée que beaucoup de ses sujets. Ses piqueurs avaient grand air sous leur livrée. Lui, qui méprisait le cérémonial à sa cour, il l’observait au fond des forêts. Quand le cerf était porté bas, le grand-maître « lui donnait le coup, » — Détachait les bois et les présentait au roi sur un plat d’argent. L’hallali sonnait. En signe de victoire, le roi et tous ceux qui l’accompagnaient mettaient une branche au chapeau. Sur un char orné de feuillages, la bête était rapportée à la maison processionnellement. Selon les rites consacrés, les chiens recevaient alors leur droit de chasse, c’est-à-dire la curée. Les choses ne se passaient pas plus solennellement devant l’empereur, quand il avait daigné assister à l’agonie d’un cerf. Mais je ne crois pas que sa majesté impériale se donnât tant de peine pour la chasse, ni qu’elle en goûtât si âprement le plaisir. Frédéric-Guillaume se mettait en chasse à la première lueur. Par les plus glaciales journées, il prenait en plein air un déjeuner froid. Les convives croyaient se réchauffer à force de boire. Le roi, rude et fruste comme il était, jouissait de cette scène de la vie primitive.

Grand chasseur, gros mangeur. Frédéric-Guillaume mangeait énormément. A table, comme partout, il voulait le réel et le solide. Point de choses soufflées où il y a du « vent. » Jusque dans la