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En vain Pascal s’indignera, les choses doivent se passer ainsi. À quoi, sans cela, servirait la confession ? Mercedes a eu la honte d’un aveu difficile ; elle a reçu une forte semonce. Que Pascal voudrait-il de plus ? Qu’elle eût été plus sage ? Escobar n’y peut rien, elle n’a rien appris dans ses livres. C’est au contraire elle qui l’instruit. Faut-il, parce qu’elle a devancé la bénédiction, la lui refuser à jamais ?

La XVe Lettre de Pascal découvre très nettement la confusion faite entre le péché véniel, l’acte qu’on n’a pas à blâmer, et l’action méritoire qu’on conseille.

L’accusation qu’il y porte est célèbre et terrible. Oubliant qu’il a été dit : Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent, priez pour ceux qui vous persécutent et vous calomnient, les jésuites, serviteurs et soldats de Jésus-Christ, permettraient la calomnie contre leurs ennemis et conseilleraient l’imposture. Ce serait la plus surprenante maxime de leur politique. La calomnie n’est pas toujours pour les jésuites péché mortel. Ce premier point établi par Pascal serait incontestable s’il voulait bien dire, non pas les jésuites, mais quelques jésuites ; il serait même plus exact de dire un jésuite. Pascal, nous le savons, n’accepte pas la distinction, il a prévenu ses lecteurs et donné ses raisons ; acceptons la règle qu’il a posée.

Les cas où la calomnie n’est pas péché mortel ont été proposés par le jésuite Dicastillus ; la compagnie en est donc responsable. N’insistons pas sur une erreur insignifiante et que de Maistre appellerait imposture. Caramuel, qui, d’ailleurs, n’est pas un jésuite, ne s’accordait pas avec Dicastillus. La citation de Pascal est exacte, mais il n’a pas lu ce qui la précède. Caramuel cite pour réfuter ensuite ; la doctrine qu’il approuve, suivant Pascal, est formellement condamnée dans son livre. Pascal, fidèle aux principes qu’il a posés, n’en a pas moins le droit de dire : « Pour les jésuites, dans certains cas, la calomnie n’est pas péché mortel. « Il n’a pas celui d’en conclure en développant sa thèse : qu’il est sûr et constant, suivant eux, qu’on peut calomnier sans crime, sans hasarder son salut, en sûreté de conscience et sans craindre la justice de Dieu ; qu’ils croient, enfin, la calomnie si certainement permise qu’ils ne craignent pas de le déclarer publiquement.

Tout péché, a dit saint Thomas, est une iniquité. Le péché, quand il n’est pas mortel, n’en est pas moins un péché. Est-il sûr et constant qu’on puisse, sans hasarder son salut, en sûreté de conscience, sans craindre la justice de Dieu, commettre une iniquité ? Est-il vrai que, n’étant pas mortel, le péché devienne de nulle conséquence ? S’il ne rompt pas les liens de l’homme avec Dieu, il peut les affaiblir et les détendre. N’est-on pas criminel devant Dieu en