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avait eu la sagesse de s’assurer ses habits bleus en lui donnant quelques-unes des satisfactions qu’il souhaitait, Frédéric-Guillaume fût demeuré le fidèle allié de Charles VI. Le roi de Prusse étant content, l’électeur de Brandebourg aurait fait son devoir. Mais l’Autriche n’avait pas plus d’égards pour lui que s’il eût été « un pauvre hère apanage,... un prince de Zipfel-Zerbst, » comme il disait. Elle a usé avec lui de tous les raffinemens de la perfidie. Alors le roi de Prusse, mécontent, faisait taire l’électeur de Brandebourg et menaçait de « tout sacrifier pour tirer de l’empereur une vengeance éclatante. »

Certainement, il y a duplicité dans sa conduite, puisqu’il prend des engagemens avec l’intention de ne les pas tenir. Il se vante d’avoir mis dans son traité avec l’empereur « plus de soixante restrictions et équivoques pour en sortir[1]. » Mais il ne faut pas oublier, si l’on veut être juste envers lui, que sa duplicité vient, en grande partie, de ce qu’il était double.

Comme roi de Prusse, il sait à merveille ce qu’il veut. Il veut agrandir la Prusse. Il a, ou croit avoir des droits sur les duchés de Berg et de Juliers : il demande que ces droits soient reconnus. Sans vergogne, il se met aux enchères : « Je ne me donnerai pas pour des poires et pour des pommes. « Il a des façons charmantes d’accepter les offres. Quand la France lui propose Elbing, à condition qu’il reconnaisse Stanislas Lesczinski comme roi de Pologne, il écrit en marge de la dépêche, en français : « A la fin, je dirai comme la feue reine Anne d’Autriche : Monsieur le cardinal, vous m’en direz tant que je serai obligée de succomber à vos désirs. » S’il regrette des engagemens aussitôt qu’il les a pris, c’est parce qu’il croit que, demeuré libre, il aurait trouvé l’occasion d’une affaire meilleure. Au moment où va commencer la guerre de la succession de Pologne, il confesse son chagrin de s’être lié à l’empereur: « Ma situation serait aujourd’hui de me déterminer pour celui qui me présenterait les avantages les plus réels. » Cela n’est pas de la duplicité : il n’y a rien au monde de plus simple[2].

Frédéric-Guillaume est si simple au fond qu’il n’entend rien aux affaires de la diplomatie. Il y porte des passions et des caprices puérils. Il n’admet pas qu’un autre soit, comme lui, à la fois électeur et roi ; que l’électeur de Saxe se mêle d’être roi de Pologne, et l’électeur de Hanovre, d’être roi d’Angleterre. Il est littéralement jaloux de voir les Hanovriens « faisant à présent si belle figure dans le monde. » La splendeur de leurs affaires le désespère[3]. Il a connu George II au temps où celui-ci n’était encore que

  1. Archives du ministère des affaires étrangères, Prusse, 1726, 2 novembre.
  2. Id., 1727, 15 janvier et 15 avril ; 1733, 21 décembre ; 1735, 14 septembre.
  3. Id., 1729, 27 décembre.