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la fin, traiter avec la France, et toujours vouloir se reprendre aussitôt après qu’il s’est donne.

Aussi devient-il la risée de l’Europe. De toutes parts pleuvent sur lui les épigrammes. « Le roi de Prusse, disent les Anglais, n’est un loup que dans sa bergerie. » L’un après l’autre les ministres de France à sa cour affirment qu’il ne « fera pas la guerre. » Ils écrivent que le « goût immuable qu’il a pour les troupes lui fera toujours entretenir une nombreuse armée, mais que sa timidité s’opposera constamment à l’exécution de tous les engagemens qu’il pourrait prendre pour les faire agir : il la sera brave jusqu’à tirer l’épée, » mais toujours retenu par « l’amour qu’il a pour ses grands hommes, qu’il n’a que pour la parade et qu’il ne voudra jamais exposer. » Puis, ce sont les reproches d’inconstance et de versatilité. C’est « un prince sans système, qui va par sauts et par bonds, passant d’une extrémité à l’autre. » Rottenbourg, ministre de France, obligé de transmettre à son gouvernement des informations qui se contredisent de semaine en semaine, se demande « comment l’on peut ajouter foi à ses dépêches. » Il écrit à Louis XV : « La variation dont est le roi de Prusse et sa dissimulation profonde sont infiniment au-dessus de tout ce que Votre Majesté peut imaginer. » Le même agent, dans le moment où il est le plus caressé par le roi, qui le charge d’exprimer les sentimens les plus affectueux à l’égard de notre pays, ajoute : « La foi que je dois à mon roi et à ma patrie m’oblige de répéter que jamais on ne peut ni ne doit compter sur le roi de Prusse pour rien d’essentiel. » Ailleurs il cite le mot de Pierre le Grand sur Frédéric-Guillaume : « Le roi de Prusse aime bien à pêcher, mais sans se mouiller les pieds[1]

Les faits semblent justifier ces accusations. A peine Frédéric a-t-il mis un pied dans un camp, qu’il veut le retirer. Il vient de s’engager dans la ligue de Hanovre et, déjà, il est « excédé de ses engagemens. » Il a passé du côté de l’empereur ; il le regrette, s’agite, caresse le ministre de France, essaie d’atténuer aux yeux de ses anciens alliés la gravité du nouveau traité, chicane l’empereur de toutes les façons: « Mon Dieu, s’écrie-t-il, je ne peux pas aller si loin, mein Gott ! so weit will ich nicht gehen! »

Il aime que l’Europe soit en querelle, et que le feu prenant en quelque endroit l’embrase tout entière. En 1727, l’Espagne attaque Gibraltar: voilà un commencement d’incendie: le roi exulte; quand la diplomatie verse l’eau à grands flots autour du brasier, il « se

  1. Archives du ministère des affaires étrangères, Prusse, 1726, dépêches des 19 février, 31 avril, 14 mai, 13 août, 10 octobre; 1727, 18 janvier, 1er juin; 1730, 21 mars ;1734, 4 janvier; 1735, 29 novembre.