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toujours le même. Il faudra varier, mais veiller à ce qu’il y ait, chaque fois, quatre bons plats, aussi bien préparés que si c’était pour sa majesté. Pour le service, il n’y aura qu’un laquais, car il ne faut pas que la chambre soit remplie de laquais. Chaque convive recevra quatre assiettes et un verre ; il mettra les assiettes et les verres dans une corbeille placée près de lui. »

Voilà qui donne le sentiment du réel. Ce sont bien des personnes en chair et en os, comme le roi, qui sont là, sous l’œil du roi, et qui vont travailler, sans cérémonies ni façons, tout de suite.

Ce qu’ils ont à faire est simple : accroître la force de production du royaume, pour augmenter les revenus du roi. Le pays ne donne pas tout ce qu’il peut donner. Il n’a pas réparé encore les pertes qu’il a faites au temps de la guerre de trente ans. Le roi a trouvé des noms de villages disparus, dans les vieux registres qu’il a consultés. Depuis, la guerre encore et d’autres fléaux ont fait d’autres ruines. A la fin du précédent règne, une peste a enlevé le tiers des habitans de la Prusse et les trois quarts de la population de la Lithuanie. Il faut combler ces places vides, ces Wäste Stellen dont la vue faisait mal à Frédéric-Guillaume; refaire les villages du XVIIe siècle et repeupler les contrées désertes en y plantant des hommes. La paix dont le royaume jouissait assurait un surcroît de naissances ; mais ce repeuplement naturel était long et Frédéric-Guillaume très impatient. Il faisait donc venir des sujets de l’étranger ; sa Prusse était la terre d’asile de tous ceux qui fuyaient la persécution religieuse ou qui venaient chercher fortune en travaillant.

Il ne se contentait pas de les recevoir : il les appelait, il les établissait, les soignait et les cajolait. Mettre quelqu’un où il n’y a rien, c’est créer; mais le roi s’appliquait aussi à améliorer. Il ne refusait à ses fermiers aucune « réparation ; » s’il fallait bâtir, il bâtissait; défricher, il défrichait; dessécher un marais, il desséchait. Cette œuvre de mise en valeur de son royaume, où il a dépensé une incroyable somme d’efforts et une persévérance merveilleuse, il la recommande au directoire ; mais il prend ses précautions pour n’être pas trompé. Il ne supportait pas l’idée qu’un thaler, même un Groschen, même un Pfennig, lui fût volé ou fût mal employé.

Il exigeait un ordre absolu dans les comptes, parce que l’argent s’échappait par le moindre désordre. Il ne veut plus que les fermiers, à qui une bâtisse nouvelle a été accordée, l’exécutent eux-mêmes, puis retiennent sur le fermage la somme dépensée. Par exemple, dit-il (il aime à expliquer et à préciser ainsi sa pensée par des exemples), le fermier Lürsten, de Köpenick, doit un terme de 500 thalers. On lui demande pourquoi il ne paie pas. Il répond