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La civilisation moderne, avec ses aspirations ardentes vers la justice, vers l’affranchissement et le bien-être des petits, vers la charité et la paix, est née de Jésus. S’il lui a donné la vie, quel autre que lui pourrait la conserver, dompter l’égoïsme, museler la violence, asservir les folles passions qui nous dévorent? Il accomplit ces merveilles dans le secret des consciences ; il ne tient qu’à nous de lui permettre de les accomplir dans notre pays.

La lutte qui nous déchire, au fond, c’est la lutte à mort entre le vieux paganisme persistant et le règne nouveau de l’Évangile. Apôtre, j’ai voulu travailler à ce règne nouveau qui est le règne de Dieu, le règne spirituel de l’Église, le règne de l’homme libre de tous les servages humains et du plus terrible de tous, parce qu’il les engendre tous, le servage intérieur du mal, de l’ignorance et du vice.

Comme Jésus faisait appel à la conscience plus qu’à la science, puisqu’il parlait à tous, ce livre, qui essaie de l’évoquer devant ce siècle, s’adresse à la conscience de mes contemporains, sans pourtant dédaigner la science.

Un préjugé vivace aujourd’hui prétend qu’entre la science et la foi le divorce est consommé, irrémédiable. Ce préjugé, je l’ai combattu toute ma vie avec une conviction que l’expérience n’a fait que rendre intraitable ; je le combattrai jusqu’à mon dernier souffle et ne cesserai de mettre en harmonie ma foi éternelle et ma culture moderne. Ni en politique, ni en histoire, ni en science naturelle, ni en philosophie, on n’a jamais signalé un fait certain, une loi démontrée jusqu’à l’évidence, qui fût en contradiction avec la parole de Jésus, telle que l’Église la garde, immuable et incorruptible. L’épreuve dure depuis de longs siècles ; et c’est parce qu’elle est triomphante que la race des hommes qui portent leur foi, je ne dis pas dans une conscience pure, mais dans une raison indépendante et virile, affamés de toute vérité neuve et inflexibles contre les préjugés du moment, — eussent-ils la faveur de l’opinion, — se perpétue et se perpétuera.

Je sais qu’entre le Christ de la foi et les esprits cultivés de ce temps on a multiplié les malentendus. Cet ouvrage en dissipera peut-être quelques-uns. Écrit dans la solitude et le silence, loin de ce qui divise les hommes, fruit d’un travail long et persévérant, je puis dire de toute ma vie, il n’est point une œuvre agitée de polémique, mais une œuvre tranquille d’histoire, une œuvre de foi. Il m’a semblé, en écrivant la vie du Maître, que sa beauté, sa douceur, sa sagesse, sa sainteté, sa charité, sa divinité rayonnant à travers ses paroles, ses actes, ses douleurs, le défendraient mieux que nos faibles argumens et nos vaines colères. Je voudrais que quelque chose de Lui, un souffle de son âme et de son esprit eût