Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 101.djvu/58

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

çon du monde, plus riche en galimatias qu’en compliment et à qui la niaiserie était tombée en partage. Il s’en alla très mécontent de moi, et je lui fis une grande révérence. — Je viens de voir, dit-il à quelqu’un qu’il rencontra, ce que je n’aurais jamais cru. Peut-on avoir l’esprit si changeant ou si changé ? J’avais souhaité ce garçon pour sa main, son incivilité me rebute. »

Un mensonge en action vaut une restriction mentale.

On n’analyse pas les Provinciales, il faut lire et relire ce modèle d’éloquence et de bonne plaisanterie ; sur le fond, beaucoup de réserves s’imposent. Tout homme de cœur droit et de bon jugement, quand il lit les petites lettres, est tenté d’y tout approuver. Ce que Pascal blâme est mauvais, ce qu’il flétrit, haïssable, ce qu’il affirme, exact ; le livre élève l’âme en aiguisant l’esprit, et cependant il est injuste. Avant d’expliquer comment et dans quel sens, j’ai voulu relire la conclusion d’un critique éminent, célèbre par ses études éloquentes et profondes sur Pascal, et que, c’est Sainte-Beuve qui l’a dit, il y a toujours profit à citer ; reproduisons le jugement de Vinet :

« Pascal remplit l’office d’accusateur et non celui de juge ; les Provinciales ne sont pas un rapport, mais un réquisitoire ; s’il est juste, il l’est comme un adversaire, comme un ennemi peut l’être envers ceux que l’on veut, justement peut-être, mais enfin que l’on veut détruire. Même dans ce sens, est-il toujours juste ? L’est-il en rapportant tout à la préméditation, au calcul, et jamais rien à l’erreur ? Un jésuite même peut se tromper. Et lorsque, dans sa treizième lettre, Pascal nous représente les jésuites jetant dans le monde des moitiés de maximes, moitié innocentes, mais destinées à se joindre en temps et lieu pour former, par leur réunion, une monstrueuse erreur, ne vous paraît-il pas conclure un peu trop rigoureusement du fait à l’intention ? Je me suis adressé ces questions ; mais, après cela, il faut convenir que le plus habile ne saurait faire à la fois deux choses si différentes que la polémique et l’histoire. Pascal « ministre d’une grande vengeance, » pour nous servir une fois de son langage, tient un glaive et non des balances ; et, soit à cause de cela, soit parce qu’il est catholique, tout un ordre de considérations a dû lui demeurer étranger. Il n’est pas conduit à remarquer que les jésuites ne sont que les parrains et non les véritables pères du système qui porte leur nom ; que ce qu’on a, justement ou injustement, appelé le jésuitisme, date des premiers jours du monde ; que l’art des interprétations, de la direction d’intention et des réserves mentales a été pratiqué de tout temps par les plus ignorans des mortels ; et que si le mot de jésuite avait le sens que les jansénistes lui eussent donné volontiers, et qu’il a reçu d’un usage assez général, il faudrait dire que le