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La philosophie scientifique parle de l’immutabilité des lois : elle confond la régularité avec l’immutabilité. — Si elles ne sont pas immuables, dit-elle, toute la science devient impossible, car elle est précisément fondée sur elles. — C’est un sophisme. La science est fondée sur le déterminisme; or, l’intervention passagère d’un être supérieur au déterminisme constaté par nos expériences, n’empêche point la régularité. Cette intervention n’est qu’un élément nouveau qui se ramène à une unité plus haute, englobant dans son cercle immense la nature, l’homme, et le Dieu qui les régit.

La faiblesse de la thèse qui cherche à établir l’impossibilité du miracle et de la prophétie est tellement évidente, même pour ses adeptes, que, pressés trop vivement par l’inexorable logique, ils se rejettent aussitôt dans la non-existence des phénomènes surnaturels.

— Ils n’existent pas, disent-ils, on n’en a jamais vu.

— La preuve?

— Notre expérience scientifique n’en a jamais constaté.

Qu’est-ce que peut démontrer une expérience scientifique de quelques savans et de quelques années? Alors même qu’elle serait exacte, elle est sans valeur pour les siècles qui furent les témoins de choses qui ne se voient plus.

On ne voit plus apparaître la vie dans un monde non vivant : cette expérience peut-elle nous autoriser à contester ce phénomène prodigieux? On ne voit plus l’homme apparaître dans une faune qui ne parlait pas et qui ne pensait pas : notre défaut d’expérience nous autorise-t-il à nier la venue d’un premier couple humain?

On ne voit plus dans aucun peuple, sur aucun rivage, surgir un être pareil à Jésus ; et cependant, le Christ a vécu et il s’est révélé.

Prétendre mesurer à une expérience d’un jour ou d’un siècle, alors même qu’elle serait conduite par des académies impeccables, sans préjugé et sans hostilité, les phénomènes qui ont rempli la durée antérieure de la nature et de l’humanité, semble si simple ou si superbe, qu’on est désarmé, pour répondre, par tant de naïveté ou de présomption.

On a essayé d’englober sous la même dénomination de légendes, de fables ou de mythes, les miracles tels que les documens évangéliques les rapportent, avec ceux qu’on peut lire dans les livres sacrés des autres religions, ceux de l’Inde, les Védas, le Lalitavistara, le Lotus de la Bonne Loi et autres, ceux de la Chine, les Kings, celui du Mahométisme, le Coran. Cette confusion est injuste et offensante.

Il faut la dissiper.

Une distinction essentielle doit être établie entre ce que j’appellerai le miracle et le merveilleux.