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ou choquante à certains esprits ; mais si Jésus l’a acceptée au sens catholique, l’historien n’a qu’à le consigner, et il fausse l’histoire, s’il s’y refuse.


V.

Un autre caractère des documens évangéliques, c’est le nombre, la variété et leur indissoluble harmonie.

Le nombre est nécessaire à la valeur du témoignage : il la garantit, il la confirme. Quatre témoins ont plus de poids qu’un seul, lorsque leur parole, malgré les différences individuelles, reste concordante.

La variété n’importe pas moins ; le nombre n’existerait pas sans elle. Quatre témoins racontant la même chose en termes toujours identiques se confondraient en un. La validité du témoignage exige des dépositions qui s’accordent sur le fond et qui se diversifient dans le détail, sans pourtant se contredire. Les récits évangéliques, comparés, présentent ce caractère. L’histoire de Jésus, composée tout entière avec ces récits fondus, en donnera la preuve au lecteur ; je ne puis mieux faire que de le renvoyer à l’ouvrage. Je dois le prévenir cependant que j’ai examiné avec une attention scrupuleuse les oppositions contradictoires que certains critiques ont prétendu voir dans la narration multiple des quatre Évangélistes ; jamais je n’ai pu les découvrir. À la vérité, je me suis défendu de reconnaître un seul fait lorsque les détails me prouvaient qu’il y en avait deux, et ainsi, bien des contradictions se sont évanouies. Je citerai, comme exemple, la question des aveugles de Jéricho. J’admets deux miracles, l’un à l’entrée de la ville, l’autre à la sortie ; mais je demanderai aux exégètes qui n’ont voulu en voir qu’un seul, sur quel motif ils appuient leur sentiment. Si, d’après saint Luc, certain aveugle fut guéri lorsque Jésus arrivait, pourquoi récuser son témoignage ? et si, d’après saint Matthieu et saint Marc, deux autres, dont l’un est appelé Bartimée, furent guéris lorsque Jésus partait, pourquoi récuser leur récit ? La tradition était confuse, répondent-ils : de là la confusion des narrateurs. Qu’en savent-ils ? et comment peuvent-ils l’établir ?

Je citerai encore les deux généalogies de Jésus, celle de saint Matthieu (I, 1-16) et celle de saint Luc (III, 23-38). Elles se contredisent, dit-on ; si la première est vraie, la seconde ne l’est pas ; et inversement, si la seconde est authentique, la première ne peut l’être.

La déduction serait incontestable, à la condition de ne pas s’appuyer sur une hypothèse erronée. Pourquoi les deux généalogies