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sa cause invisible, les faits des synoptiques ont leur cause cachée dans le Dieu invisible qui est en Jésus et que saint Jean révèle. Les uns nous montrent le Dieu vivant parmi les hommes, semblable à eux, l’autre nous parle de ce qu’il est en lui-même, dans le sein du Père.

Les premiers Évangiles montrent l’homme en Jésus, le quatrième révèle le Dieu. Tous, même les profanes, peuvent lire les uns : l’autre est réservé aux initiés que l’éternelle Lumière éclaire. Le génie, laissé à ses pauvres clartés humaines, ne le comprendra pas, mais les âmes simples l’entendront, malgré sa sublimité ; et quiconque l’ouvre doit se souvenir de la parole du Maître : « Bienheureux les cœurs purs, ils verront Dieu. »

L’authenticité du plus divin des Évangiles n’a jamais été niée parmi les anciens. Une seule secte obscure, les Aloges, l’a répudié, mais elle n’invoque aucun témoin, et ne s’appuie que sur des raisons dogmatiques. Ceux qui niaient le Verbe ne pouvaient accepter l’Évangile du Verbe.

Presque tous les Pères apostoliques en contiennent des citations très soigneusement relevées par le docteur Funk[1].

On ne peut rien opposer au témoignage d’Irénée, disciple de Polycarpe, disciple lui-même de saint Jean, attestant l’existence de l’écrit johannique[2].

Il a été rédigé en grec, à Patmos, suivant les uns, à Éphèse, suivant d’autres. La tradition est incertaine sur ce point, de même que sur l’époque exacte de la rédaction. Il est vraisemblable que l’Apôtre l’écrivit dans sa vieillesse, alors que, seul survivant des témoins directs de la vie et de la doctrine de Jésus, il fut prié par tous les évêques des Églises d’Asie-Mineure d’élever sa grande voix pour confondre les négations naissantes dont la nature de Jésus était l’objet et qui se sont multipliées pendant six siècles, toujours vaincues par le témoignage du quatrième Évangile.

Quant au silence de Papias, il n’est plus possible d’en tirer un argument contre le quatrième Évangile. Un nouveau fragment de l’évêque d’Hiéropolis, cité par Thomasius (I, 344) et que j’emprunte au docteur Aberle[3], témoigne qu’il connaissait l’œuvre de l’Apôtre.

D’ailleurs, l’authenticité des quatre Évangiles canoniques est une question désormais tranchée.

Il est prouvé par le fragment du canon de Muratori que, sous le pontificat de Pie Ier, en 142, il existait quatre Évangiles, que l’Église romaine n’en reconnaissait pas d’autres, qu’elle les lisait

  1. Opera Patr, apostol, t. I, p. 565 et suiv.
  2. Irénée, Adv. hœres., III, I, 1.
  3. Einleitung in das Neue Test., p. 112.