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et les disparus la puissance du souvenir. Ils renaissent en nous, et, en regardant au fond de l’âme, on les retrouve, on les voit, on les entend. Jésus était vraiment au milieu d’eux. Ils vivaient avec lui dans la prière[1], dans la pratique des vertus qu’il leur avait enseignées par sa parole et son exemple. C’est là qu’il faut chercher l’origine première de l’Évangile oral qui constitue la première prédication des apôtres et la source des Évangiles écrits.

Les apôtres ont vite éprouvé le besoin de fixer l’enseignement du Maître et l’histoire de sa vie. Les premiers fidèles devaient souhaiter ardemment de conserver dans leur souvenir « la bonne nouvelle » que les envoyés de Jésus leur prêchaient ; et les envoyés, en quittant les nouveaux convertis, les jeunes communautés organisées par eux, aimaient à leur laisser un témoignage plus durable que leur parole. L’Évangile écrit répondait à ces besoins, à ces nécessités.


III.

On ne peut préciser la durée exacte du temps écoulé entre le début de la prédication apostolique et l’apparition du premier Mémoire écrit. Ce temps dut être fort court. La tradition universelle de l’Église place la composition du premier Évangile entre l’an 33 et l’an 40 de l’ère chrétienne[2]. Cet Évangile a pour auteur l’un des apôtres, Matthieu le publicain. Il fut écrit en lettres hébraïques pour les Juifs de Palestine et de Jérusalem[3], dans la langue qu’ils parlaient alors, le dialecte araméen, — un mélange de chaldéen et de syriaque, — qui fut la langue de Jésus.

L’idée fondamentale sur laquelle se concentrait toute la foi des apôtres, c’est que Jésus était avant tout le Messie d’Israël annoncé par les prophètes. Ils s’efforçaient de le persuader à tous les Juifs ; leur prédication n’est que le témoignage public de cette vérité, comme le démontrent les fragmens de discours que les Actes nous ont conservés[4]. Ce que disait Pierre, tous ses compagnons, animés de la même foi, le disaient ; et dès que Jésus les eut quittés, fidèles à ses ordres, ils remplirent Jérusalem et toutes les synagogues de la Palestine du témoignage de leur foi en sa messianité.

Cette idée inspira le premier Évangile ; elle en est l’âme ; elle en ramène à l’unité toutes les parties.

Il est facile de s’en convaincre, en examinant les passages prophétiques que l’auteur rappelle, et dont son propre récit n’est que

  1. Act., I, 14.
  2. Eusèb., Chronic ; Irénée, Adv. hœres., III. 1.
  3. Jérôme, Adv. Pelag., III, 1 ; Irénée, Adv. hœres., III. 1 ; Eusèbe, Hist. ecclés., III. 24 ; Jérôme, De vir. illustr. ; Fragm. Papias.
  4. Cf. Act., II, 14 et suiv. ; IV, 8 et suiv., V, 29-32, etc.