La critique, dès lors, ne peut être une science spéciale ; elle est plutôt une condition de toute science. Elle rentre dans la logique même qui fixe à l’homme les règles pour penser juste et pour juger sainement. Ces simples considérations démontrent la vanité de ceux qui s’attribuent le monopole de la critique. L’école critique est l’école de tout le monde. Chacun peut et doit y prétendre. La tentation la plus ordinaire de l’esprit cultivé est de critiquer au-delà de la mesure, de vouloir tout juger, même ce qu’il ignore. Le sage modère cette volonté âpre, intempérante ; il apprend à ne juger que ce qu’il sait, n’oubliant jamais que son savoir est limité et son ignorance incommensurable.
On peut être un excellent critique en philosophie et un très mauvais juge en religion ou en histoire. Certaines connaissances humaines n’exigent pas seulement un esprit spéculatif, mais une longue expérience. Les doctrines morales seront bien mieux critiquées par l’ignorant qui a expérimenté la vertu que par le sceptique qui ne se doute pas des joies austères du sacrifice. Les saints, qui vivent de la parole de Jésus, l’entendront toujours mieux que l’exégète hellénisant qui la repousse et n’en connaît pas la saveur. Un dégustateur délicat perçoit des nuances qui échappent au chimiste.
Appliquée à l’histoire, la critique a un rôle bien déterminé. L’histoire a pour objet de raconter les faits ; or les faits du passé ne nous étant connus que par les documens, et les documens étant rédigés par les témoins plus ou moins immédiats des faits eux-mêmes, la critique doit examiner, tout ensemble, les faits, les documens et les témoins.
Certains faits sont absurdes : la critique les écarte ; il y a des documens altérés ou suspects : la critique les signale et les réprouve ; et si des témoins sont indignes de loi, elle les démasque et les confond.
En ce qui concerne la vie de Jésus, la critique préliminaire a le devoir et le droit de rechercher les documens et les témoins qui nous renseignent sur cette vie, l’ancienneté et l’authenticité des uns, la valeur testimoniale des autres ; elle doit examiner la nature des faits consignés dans les documens et rapportés par les témoins.
Ces problèmes ont soulevé, surtout depuis un siècle, en Allemagne, en Suisse, en Angleterre et en France, de tels débats, que plusieurs volumes suffiraient à peine à les traiter. La réfutation des solutions erronées en demanderait un à elle seule. Nous ne pouvons que tracer ici les grandes lignes et résumer, en les motivant, quelques conclusions certaines.