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gneur pour votre serviteur, qui est que, lorsque le roi, mon seigneur, entrera dans le temple de Remmon pour adorer, étant appuyé sur ma main, si j’adore dans le temple de Remmon lorsqu’il adorera lui-même, que le Seigneur me le pardonne. — Élisée lui répondit : Allez en paix. » — Je ne dois pas, dit Escobar, être plus sévère qu’Élisée. Pascal, sans accepter d’excuse, aurait condamné Naaman.

— Le vieil Antonio a fait fortune. Ses neveux, depuis lors, l’impatientent par leurs attentions. Un jour, sur la promenade publique, Antonio, entouré de ses parens, regarde la cathédrale et dit à haute voix : « Je vois mon légataire universel. » Antonio laissait tout son bien au trésor de l’Église. Riant de sa malice, mais craignant d’avoir péché contre la sincérité, il va consulter Escobar. « Vous n’avez pas menti, répond le casuiste ; tant pis pour vos parens s’ils ont mal compris. » Et, sans remords de conscience, il partagea la gaîté d’Antonio. S’ils sont excusables, — et c’est mon sentiment, — on peut quelquefois, sans péché, mais non sans mensonge, employer la parole à faire croire le contraire de la vérité.

Je cache un proscrit ; on me demande indiscrètement si je connais sa retraite ; il faut mentir, c’est devoir. Répondre, pour respecter la vérité : Je sais où il est, mais ne puis le dire, serait trahison. L’homme, une heure après, serait découvert. Si cependant, voulant éviter ce reproche de mensonges dont nous sommes, suivant Montaigne, plus offensés que de nul autre, je me dis : J’ignore dans quelle chambre il habite, dans quelle allée du jardin il se promène, je ne sais vraiment pas par conséquent où il est ; c’est niaiserie. On peut en sourire ; mais si, à cette niaiserie, s’associe le respect, même stérile, de la vérité qu’on trahit, le sourire doit être indulgent. Le mensonge, quelquefois, est obligatoire. Dans les cas ordinaires, est-il excusé par les restrictions mentales ? Aucun casuiste ne l’enseigne, pas même des plus relâchés. Ceux qui leur prêtent cette doctrine sont des disciples sans intelligence ou des adversaires sans équité. L’idée qu’il est possible d’induire son prochain en erreur sans commettre le péché de mensonge a fait le sujet d’un conte amusant :

Un jésuite, mêlé à de graves intérêts et à une situation délicate, y trahit, par des assertions à double sens, ceux qui lui donnent confiance, et, certain de mériter l’absolution, s’écrie avec un pieux orgueil, après chacune de ses impostures : « Un jésuite ne ment jamais ! »

L’histoire est plus piquante que juste. Dieu seul peut, d’après les théologiens, faire croire l’erreur en disant la vérité en figures. Il ne permet pas qu’on l’imite.

— Gonzalve est plus pieux que zélé. Chaque dimanche il se pro-