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n’est qu’un prophète ; d’autres, plus aveugles, en faisaient même un blasphémateur et un révolté.

Lorsqu’il eut quitté la terre, pendant que les apôtres prêchaient aux synagogues juives le Messie Dieu et homme, rempli de la sagesse et de la vertu de Dieu, les premiers sectaires, les Nazaréens et les Ébionites, ne voulaient, voir en lui qu’un homme.

La lutte, sur ce point, se prolongea plusieurs siècles ; un philosophe païen, Celse, sans nier pourtant les miracles de Jésus, persiflait sa doctrine, qu’il appelait absurde, et sa croix, qu’il trouvait infâme ; Origène, le réfutant, proclamait de sa grande voix la divinité de son Maître.

Les temps ont marché depuis. Le Crucifié a grandi, détruisant le paganisme, absorbant la philosophie, détrônant l’Empire, conquérant la terre, civilisant la barbarie, créant un monde nouveau.

Qui donc avait raison : les Juifs anathématisant Jésus et le tuant ; les païens, comme Tacite, Suétone et l’honnête préfet de Bithynie, Pline le Jeune, le dédaignant, lui et ses disciples, qui leur semblaient une secte méprisable ; les philosophes, comme Celse, l’accablant de leur sagesse, — ou les apôtres, adorant en Jésus le Fils de Dieu ?

Si Jésus n’était en réalité que l’homme honni des Juifs et du paganisme, comment a-t-il creusé sur la terre un sillon pareil ? comment a-t-il fondé une religion qui domine le monde ?

L’œuvre est inexplicable : elle est la preuve populaire que Jésus était bien ce que l’Église affirme.


I.

La première condition d’une histoire scientifique est d’être éclairée par une critique sage, clairvoyante, impartiale.

Il ne faut pas, cependant, confondre la critique avec l’histoire ; bien qu’inséparables l’une de l’autre, elles doivent rester distinctes.

Dans son sens le plus général, la critique est l’exercice même de la faculté essentielle de tout être raisonnable, le jugement. Critiquer et juger sont deux termes synonymes ; car le jugement, comme la critique, a pour objet de discerner le vrai du faux. C’est le premier des droits, le plus nécessaire des devoirs de la raison. Quel que soit le domaine qu’elle explore : religion, philosophie, sciences, littérature, esthétique, mathématiques même, la raison doit être attentive à discerner la réalité et les apparences, le vrai, souvent invraisemblable, et le faux, quelquefois si plausible.