Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 101.djvu/479

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

triple alliance a de ce côté de mauvais momens, qu’elle paraît soumise à de singulières épreuves, et que la politique italienne s’en ressent dans tous ses mouvemens, dans toutes ses résolutions ; elle semble du moins avoir depuis quelque temps de curieuses tergiversations ou une certaine gêne intime que le cabinet de Rome ne réussit guère à déguiser.

L’Autriche et l’Italie sont ensemble dans la triple alliance, c’est toujours convenu. On dirait, dans tous les cas, des alliées qui ne s’entendent guère ou qui ne peuvent s’entendre que dans l’obscurité, avec toutes les réticences possibles. Ce qu’il y a de sûr, c’est que, si l’Italie et l’Autriche sont liées par un artifice de diplomatie, elles restent encore plus divisées par leurs souvenirs, par leurs traditions ou leurs arrière-pensées ; c’est qu’il y a toujours entre elles ce qu’on appelle « l’irrédentisme, » les revendications italiennes sur Trieste et Trente, que l’Autriche paraît décidée à ne pas laisser mettre ses droits en doute et que l’Italie se sent visiblement dans l’embarras. L’Autriche, il y a quelques semaines, a cru devoir dissoudre rudement, par la main de sa police, une société italienne de Trieste, la société Pro Patria. Le cabinet de Rome, pour faire honneur à la triple alliance, peut-être aussi dans l’espoir de désarmer ou d’adoucir l’Autriche, s’est décidé de son côté à dissoudre les associations irrédentistes du royaume. C’était déjà beaucoup pour le gouvernement italien, pressé par l’opinion populaire, surtout pour M. Crispi qui a été lui-même un fougueux irrédentiste. Cela n’a pas suffi. L’Autriche vient de frapper un nouveau coup en supprimant une autre société, la société le Progresso sans s’inquiéter de ce qu’on en dirait à Rome. Le coup est sensible, et, tout compte fait, le gouvernement italien se trouve dans cette pénible alternative : s’il s’arrête dans ses répressions de complaisance, il s’expose à irriter l’Autriche, à passer pour un allié infidèle ; s’il pousse jusqu’au bout la guerre à « l’irrédentisme, » il risque de soulever contre lui une agitation passionnée à l’intérieur, et ce n’est pas sans gravité à la veille d’élections qui semblent prochaines. Voilà la situation, elle n’est pas trop facile ! Mais ce n’est pas tout : il s’est produit, sur ces entrefaites, un incident qui n’est pas moins curieux, qui n’est peut-être qu’une révélation de plus des embarras de la politique italienne.

C’est à la fois bien simple et un peu étrange. L’Italie, qui tient à sa marine et qui dépense beaucoup pour elle, lance d’ici à peu de jours un nouveau navire cuirassé, la Sardegna, dans le port de la Spezzia. Le roi Humbert devait présider la cérémonie. Aussitôt on s’était demandé si cette fête des bords de la Méditerranée ne serait pas pour les escadres étrangères une occasion de paraître devant la Spezzia, de porter au roi Humbert le salut de courtoisie que les nations civilisées ne se refusent pas. L’escadre anglaise, à ce qu’il semble, s’était déjà ébranlée et avait