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boulangiste, et ces révélations d’aujourd’hui n’ont d’autre mérite que d’être un témoignage, involontaire peut-être, contre les partis.

Ils ont beau s’en défendre, s’accuser les uns les autres, se renvoyer les uns aux autres la responsabilité d’une crise qui, après avoir ému le pays, finit dans le ridicule ; ils y ont tous contribué à leur manière. Ils ont tous eu leur rôle dans la représentation, ceux-ci avant, ceux-là pendant l’action. Ils expient aujourd’hui leurs complicités et leurs faux calculs par l’embarras mal déguisé de leur attitude et de leur langage. Assurément les conservateurs, pour leur part, n’avaient rien à faire dans une entreprise qui commençait par l’indiscipline d’un soldat démagogue, favori des radicaux. Ils y ont été pourtant, — ce n’est plus douteux, — dans cette bagarre inavouée ou inavouable. On ne le nie pas. On a négocié, on a eu des entrevues clandestines en France ou hors de France, on a concerté des combinaisons et des candidatures, on a donné de l’argent hypothéqué sur les succès futurs. Bref, on s’est prêté à une mystification qui, après tout, sans qu’on le voulût, pouvait devenir un désastre. S’il y a eu des résistans, des libéraux fidèles, des parlementaires, des indépendans qui ont refusé de suivre le panache barbouillé d’un aventurier, qui se sont révoltés à l’idée d’engager l’honneur, les intérêts de la cause conservatrice dans la plus suspecte des alliances, ils n’ont pas été écoutés. C’étaient des naïfs ! Ce sont les habiles qui l’ont emporté dans les conseils et qui ont mené l’affaire. Ils ont fait là une belle campagnol C’était bien la peine de représenter près d’une moitié de la France, les griefs, les intérêts, les sentimens, les vœux d’une grande partie du pays, de représenter librement, au grand jour, les croyances froissées, l’ordre financier méconnu, les garanties oubliées, pour tout risquer dans une intrigue obscure. Qu’espérait-on cependant ? Si l’aventure réussissait, c’était par trop puéril de croire qu’on avait mis la main sur un petit Monk de circonstance, que celui dont on aurait favorisé l’ambition et la fortune, qui aurait eu pour lui des millions de voix, aurait été disposé à tout livrer, fût-ce pour un titre de connétable. On aurait fait un césar d’aventure, un dictateur de plus, c’était l’unique résultat. Si l’entreprise échouait, on compromettait tout, on risquait de tout perdre. On voit ce qui en est aujourd’hui. Après l’insuccès vient un certain désarroi. Les intérêts conservateurs, les vœux du pays restent sans doute ce qu’ils étaient ; ceux qui ont été chargés de les représenter depuis quelques années en sont pour leur stratégie hasardeuse, pour leurs fausses manœuvres, pour leur argent perdu et leur crédit compromis.

Assurément, les conservateurs qui se sont laissé entraîner dans cette triste et compromettante équipée n’ont rien gagné ni pour eux, ni pour leur cause ; mais, après tout, s’ils ont cru pouvoir profiter d’une popularité qui a fait un moment illusion, ce n’est pas par eux qu’a été créé le danger boulangiste, et, s’ils n’ont rien gagné, les républicains, radi-