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jadis le public, dont les satires politiques alarmaient le gouvernement, et qui s’élève aujourd’hui avec tant de force contre les spectacles et les mascarades, déplorant un goût effréné pour le plaisir qui détourne les hommes des affaires sérieuses de la vie, et s’écriant : « Ce n’est plus assez de trois théâtres, on en veut maintenant un quatrième, où les mœurs sont blessées en même temps que les lois et où l’on tente de ressusciter tous les abus de la comédie d’Aristophane ! » Un très long travail intitulé : Enquête sur les causes de la multiplication des voleurs, et propositions faites pour remédier à ce fléau, avec un examen de nos lois sur l’assistance des pauvres et sur la punition des criminels, nous montre le magistrat philosophe remontant, avec le flair d’un policier sagace et la hauteur de vues d’un moraliste, aux diverses causes du mal. Une des plus funestes est l’abus des liqueurs fortes. Fielding exprime le vœu que l’autorisation de vendre du gin soit limitée aux seuls pharmaciens, et qu’il ne soit plus permis d’en acheter sans un certificat de médecin. Il y a, en tout cas, dit-il, quelque chose à faire, et le premier objet du présent écrit est de réveiller le pouvoir civil de son indifférence léthargique. Les efforts du publiciste ne restèrent pas stériles. En 1751, le parlement fit une loi pour restreindre la vente des spiritueux ; Horace Walpole, juste une fois pour Fielding, rend hommage de cette loi à son initiative dans ses Mémoires sur les dix dernières années du règne de George II. Un autre travail, encore plus considérable, a pour titre : Proposition à l’effet de pourvoir aux besoins des pauvres, d’améliorer leurs mœurs et de les rendre utiles à la société, avec le plan et le devis d’un projet d’asile. La composition de cet important mémoire fut préparée par d’immenses lectures ; Fielding examina toutes les lois sur les pauvres depuis le temps d’Elisabeth, et le résultat de son enquête fut de proclamer la nécessité d’une réforme complète de la législation. L’approbation des membres les plus éclairés du clergé et de la magistrature récompensa un écrivain qui prenait à cœur l’instruction morale et religieuse des pauvres, et qui remédiait sérieusement au vagabondage par le projet d’une maison de travail, située à la campagne, capable de recevoir 3,000 hommes, 2,000 femmes, et attenante à une maison de correction.

Au milieu de ces graves et absorbans travaux, Fielding poursuivait la composition d’un nouveau roman qui parut en décembre 1751. Deux années seulement séparent Amelia de Tom Jones ; il semble qu’il y en ait vingt, tant l’auteur a vieilli dans l’intervalle ! Ce n’est pas que son intelligence ait baissé ; ni même que son talent soit en déclin ; mais la jeunesse s’est envolée, emportant avec elle la gaîté, l’imagination, la verve, remplacées par une expérience plus riche et une sagesse plus ferme que jamais. Amelia est moins