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pas à Rome ! » On lui rappela qu’il y avait eu des papes à Avignon ; il ne niait pas, mais réfléchissait. « Cependant, dit-il, s’il y avait eu des papes à Avignon, cela se saurait ! »

Plus d’un lecteur, instruit comme ce voyageur, et comme lui de bon jugement, mais peu au courant de l’histoire de la théologie morale, continuera sans doute à se dire : si les maximes flétries par Pascal étaient celles des docteurs et des saints, approuvées par des papes et par des conciles, conseillées par tous les ordres religieux, cela se saurait.

La question de droit est la plus importante. La casuistique est-elle mauvaise en soi ? Faut-il condamner les casuistes, les blâmer ou les absoudre ? Les passages scandaleux cités par Pascal se trouvent dans leurs livres, incontestablement ; l’interprétation en est fidèle. Est-il juste de tempérer par des circonstances atténuantes leur appréciation si fortement motivée ? Nous avons rapporté d’étranges décisions, plus étranges encore quand on les lit dans les livres des saints. Mais c’est prendre le change, que juger comme des traités de morale des études sur les cas de conscience. La confession est obligatoire, il faut la rendre possible. Le prêtre n’a pas à guider seulement les consciences pures, les cœurs délicats et les âmes généreuses, il n’a pas d’anges à diriger. Les hommes ne peuvent tous passer leur vie dans la retraite et en prières, il doit leur supposer, parce qu’il en est ainsi, des vices qu’on ne nomme pas et des sentimens mauvais contre lesquels leur volonté ne peut rien. En se demandant où commence le péché mortel et l’infamie, il n’atténue en rien les maximes de l’Évangile ; il ne se persuade pas qu’il y ait un degré de perfection inutile à dépasser dans lequel on soit en assurance. Les âmes n’évitent de tomber qu’en montant toujours ; mais sans rien abandonner de la morale chrétienne, on distingue, pour ne décourager aucune bonne volonté, ce qui est de précepte et d’obligation indispensables, et ce qui est seulement de perfection et de conseil. Il faut supposer des esprits mondains, terrestres et grossiers, sans chaleur et sans élévation, plus effrayés des peines éternelles de l’enfer que soucieux des joies monotones du paradis, incapables d’une pensée généreuse, inaccessibles à un sentiment délicat, capables cependant de dévotion. On peut plier les deux genoux dans les églises, se présenter avec crainte au confessionnal, redouter d’y dissimuler un péché beaucoup plus que de le commettre, et en commettre de très graves. Il y avait jadis, il y a toujours, du bon grain et de l’ivraie dans la moisson du Seigneur, du froment et de la paille dans son aire, de bons et de mauvais poissons dans son filet. L’église prie pour tous les pécheurs, n’en exclut aucun de son unité et veut embrasser tout le monde. Les méchans et les mauvais sub-