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D’un cerf dix-cors j’ai connaissance.
On l’attaque au fort, on le lance ;
Tous sont prêts.
Piqueurs et valets
Suivent les pas de l’ami Jone.
Aussitôt j’ordonne
Que la meute donne.
Tayaut ! Tayaut ! Tayaut !


Mme du Deffand écrivait à Horace Walpole, le 14 juillet 1773 : « Je viens de relire Tom Jones, dont le commencement et la fin m’ont charmée. Je n’aime que les romans qui peignent les caractères bons et mauvais. C’est là où l’on trouve de vraies leçons de morale, et si on peut tirer quelque fruit de la lecture, c’est de ces livres-là ; ils me font beaucoup d’impression ; vos auteurs sont excellons dans ce genre, et les nôtres ne s’en doutent point. J’en sais bien la raison, c’est que nous n’avons point de caractères. Nous n’avons que plus ou moins d’éducation, et nous sommes, par conséquent, imitateurs et singes les uns des autres. » Et encore, le 8 août : « A l’égard de vos romans, j’y trouve des longueurs, des choses dégoûtantes, mais une vérité dans les caractères (quoiqu’il y en ait une variété infinie) qui me fait démêler dans moi-même mille nuances que je n’y connaissais pas… Dans Tom Jones, Allworthy, Blifil, Square et surtout Mrs Miller, ne sont-ils pas d’une vérité infinie ? Et Tom Jones, avec ses défauts et malgré toutes les fautes qu’ils lui font commettre, n’est-il pas estimable et aimable autant qu’on peut l’être ? Enfin, quoi qu’il en soit, depuis vos romans, il m’est impossible de lire aucun des nôtres. »

Il est piquant de voir Mme du Deffand prendre la défense de Fielding contre ce freluquet d’Horace Walpole, qui faisait le dégoûté et qui lui avait écrit : « Je n’accorde pas à nos romans le même mérite que vous. Tom Jones me fit un plaisir bien mince. Il y a du burlesque, et, ce que j’aime encore moins, les mœurs du vulgaire. Je conviens que c’est fort naturel, mais le naturel qui n’admet pas du goût me touche peu. Je trouve que c’est le goût qui fait le charme de tout ce qui regarde la société… Nos romans sont grossiers. Dans ceux de Fielding, il y a des curés de campagne qui sont de vrais cochons. » Mme du Deffand plaide pour ce que nous appellerions aujourd’hui le réalisme ou le naturalisme ; mais elle ne trouve pas le mot propre. Elle commence par écrire : « Pourquoi les sentimens naturels ne seraient-ils pas vulgaires ? » Puis elle se reprend : « Il faut que je corrige un endroit de ma lettre ; c’est le mot vulgaire. Vous entendez par là des sentimens bas ; en effet, c’est sa signification ; c’est moi qui ai eu tort en le prenant pour des sentimens ordinaires… Malgré tout le goût que vous me