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pères à toute heure et avec éloge ; et puis si vous entendez bien votre doctrine de la probabilité, vous verrez que cela n’y fait rien. Au contraire, nous avons bien voulu que d’autres que nous puissent rendre leurs opinions probables, afin qu’on ne puisse pas nous les imputer toutes ; et ainsi, quand quelque auteur que ce soit en a avancé une, nous avons droit de la prendre, si nous le voulons, par la doctrine des opinions probables, et nous n’en sommes pas les garans, quand l’auteur n’est pas de notre corps. — J’entends tout cela, lui dis-je, je vois bien par là que tout est bien venu chez vous, hormis les anciens pères, et que vous êtes les maîtres de la campagne. Mais je prévois trois ou quatre grands inconvéniens, et de puissantes barrières qui s’opposeront à votre course. — Et quoi ? me dit le père tout étonné. — C’est, lui répondis-je, l’Écriture sainte, les papes, les conciles que vous ne pouvez démentir, et qui sont tous dans la voie unique de l’Évangile. — Est-ce là tout ? me dit-il. Vous m’aviez fait peur. Croyez-vous qu’une chose si visible n’ait pas été prévue et que nous n’y ayons pas pourvu ? Vraiment je vous admire de penser que nous soyons opposés à l’Écriture, aux papes et aux conciles : il faut que je vous éclaircisse du contraire. Je serais bien marri que vous crussiez que nous manquons à ce que nous leur devons. Vous avez sans doute pris cette pensée de quelques opinions de nos pères qui paraissent choquer’ leurs décisions, quoique cela ne soit pas : mais pour entendre l’accord, il faudrait avoir plus de loisir. Je souhaite que vous ne demeuriez pas mal édifié de nous. Si vous voulez que nous nous revoyions demain, je vous en donnerai l’éclaircissement. »

Le probabilisme est la doctrine des jésuites ; on s’en tient là ; cela n’est pas juste. C’est aussi, nous venons d’en donner la preuve, celle des dominicains. Il faudrait à la condamnation associer le poète Lucain ; n’a-t-il pas dit :


Victrix causa Diis placuit, sed victa Catoni.


C’est du probabilisme pur.

Caton est un homme grave. Son appui rend probables les droits de : Pompée.

Il y a quarante ans environ, c’était en 1851, je descendais le Rhône en bateau à vapeur ; j’avais rencontré un voyageur instruit des choses de science ; il parlait bien et avec bon jugement. Il admirait le théorème de Sturm sur les équations algébriques, et discutait savamment l’emploi, nouveau alors en métallurgie, de la combustion du gaz des hauts fourneaux. En approchant d’Avignon quelqu’un, regardant la rive gauche du fleuve, s’écria : « Voilà le château des papes ! — Mais, répondit le voyageur, nous ne sommes