Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 101.djvu/43

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Vous l’entendez bien peu, me dit-il ; les pères étaient bons pour la morale de leur temps, mais ils sont trop éloignés pour celle du nôtre. Pesez bien ce raisonnement d’un de nos plus habiles théologiens, c’est Pierre de Tapia :

« Touchant la qualité des auteurs, dit-il, il faut distinguer ; car ou ils sont anciens, ou ils sont modernes. S’ils sont anciens, il faut voir si leurs opinions ont été constamment suivies ou si elles ont été abandonnées. Et si elles sont surannées,… car si une opinion est maintenant communément abandonnée, on ne tient point compte de l’autorité ou du témoignage de son auteur, pour donner de la probabilité à cette opinion.

« — Voilà de belles paroles ! lui dis-je, et pleines de consolation pour bien du monde. — Nous laissons les pères, me dit-il, à ceux qui traitent la positive ; mais pour nous qui gouvernons les consciences, nous les suivons peu et ne citons dans tous nos écrits que les nouveaux casuistes. Voyez Diana qui a tant écrit : il a mis à la tête de ses livres la liste des auteurs qu’il rapporte : il y en a deux cent quatre-vingt-seize dont le plus ancien est depuis quatre-vingts ans. — Cela est donc venu au monde depuis votre ordre ? lui dis-je. — Ha ! bien longtemps après, me répondit-il ; car, à proprement parler, nos Sommes de cas de conscience ne passent pas deux cents ans. — C’est-à-dire, mon père, qu’environ vers ce temps-là, on commença à voir disparaître saint Augustin, saint Ambroise, saint Jérôme et les autres, pour ce qui est de la morale, mais au moins que je sache les noms de ceux qui leur ont succédé. Qui sont-ils ces nouveaux auteurs ?

« — Ce sont des gens bien habiles et bien célèbres, me dit-il ; c’est Villalobos, Conink, Llamas, Achokier, Deakofer, Dellacrux, Veracrux, Ugolin, Tambourin, Fernandez, Martinez, Suarez, Henriquez, Vasquez, Lopez, Gomez, Sanchez, de Vechis, de Grassis, de Grassalis, de Pitigianis, de Graffiis, Squillanti, Bizozeri, Barcola, de Bobadilla, Simancha, Perez, de Lara, Aldresta, Larca, Descarcia, Guaranta, Scophra, Pedrezza, Cabrezza, Bisbe, Diaz de Clavasio, Villagut, Adam à Manden, Iribarne, Binfeld Volfang à Vebcrg, Vostery, Strevesdorf.

« — Ô mon père ! lui dis-je, tout effrayé, tous ces gens-là étaient-ils chrétiens ? — Comment chrétiens ? me répondit-il, ne vous disais-je pas que ce sont les seuls avec lesquels nous gouvernons aujourd’hui la chrétienté ?

« Cela me fit pitié ; mais je ne lui en témoignai rien et lui demandai seulement si tous ces auteurs étaient jacobins. — Non, me dit-il, mais il n’importe, ils n’ont pas laissé de dire de bonnes choses. Ce n’est pas que la plupart ne les aient prises ou imitées des nôtres ; mais nous ne nous piquons pas d’honneur, outre qu’ils citent nos