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énorme différence entre son propre cas et celui de Fanny : « Mon frère, dit-elle, le conseil que mon mari vous donne est un conseil d’ami, et je n’ai pas le moindre doute que ce ne soit aussi l’avis de papa et de maman ; ils auront toute raison d’être lâchés contre vous si vous voulez détruire ce que sa bonté a fait et rabaisser de nouveau notre famille, après qu’il l’a élevée si haut. Vous devriez prier Dieu, mon frère, pour que sa grâce vous assiste contre votre passion, au lieu de vous y abandonner. — Pour sûr, ma sœur, vous ne parlez pas sérieusement ; vous savez bien que Fanny est votre égale. — Elle était mon égale, répondit Paméla ; mais je ne suis plus Paméla Andrews ; je suis la femme de ce seigneur, et, comme telle, fort au-dessus d’elle. J’espère que je ne me conduirai jamais avec un orgueil inconvenant ; mais, en même temps, je m’efforcerai toujours de me connaître moi-même et je ne mettrai pas en question le pouvoir de la grâce divine pour me rappeler qui je suis. »

Les parodies trop prolongées finissent par lasser, et Fielding a sans doute bien fait de ne pas soutenir la sienne ; mais il résulte de son changement de dessein que l’unité d’impression manque au roman de Joseph Andrews. Le titre complet de l’ouvrage est : Aventures de Joseph Andrews et de son ami, M. Abraham Adams, imitées de Cervantes, auteur de Don Quichotte. Le personnage nommé en seconde ligne est le véritable héros de l’histoire. Si Joseph Andrews n’est pas, à tout prendre, le meilleur roman de Fielding, s’il ne vaut pas, à beaucoup près, celui de Tom Jones pour l’ampleur de l’invention, l’intérêt de l’intrigue, la variété des tableaux et la richesse des idées, le révérend Abraham Adams est considéré à bon droit comme sa création la plus heureuse. L’imitation de Cervantes, ingénument avouée dans le titre, ne diminue en rien l’originalité de ce caractère ; car la figure, le tempérament, les idées, la profession, les goûts, bref, les personnes physiques et morales du ministre nomade et du chevalier errant diffèrent autant qu’il est possible, et ils sont, chacun à sa manière, deux individus complets et vivans. La ressemblance se borne à ceci, qu’ils sont tous les deux les plastrons de toutes sortes de méchantes plaisanteries, — étant, l’un, bâtonné et berné ; l’autre, plongé dans l’eau par de joyeux convives, renversé dans la boue par une troupe de cochons qui lui passent sur le corps, ou déchiré en soutane par une meute que des chasseurs excitent contre ce gibier d’un nouveau genre, — et que, dans les situations les plus ridicules, ils nous restent toujours sympathiques, ne perdant rien ni de notre respectueuse estime ni de notre affection. A une âme d’une enfantine simplicité, d’une pureté angélique, Adams joint un corps d’athlète et un cœur de héros ; son poing puissant, qui