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« Si vous n’êtes pas content de l’autorité du grand théologien que je viens de vous citer, je ne serai pas embarrassé à vous en citer d’autres de notre ordre.

« Vous savez ce que c’est que Louis Lopes et François Victoria ? — Non, dis-je, je n’ai pas l’honneur de les connaître. — À ce que je vois, reprit-il, vous êtes bien neuf dans la théologie. Ce Victoria que je vous nomme est, dit Antoine de Sienne, auteur de notre bibliothèque, un homme au-dessus de tous les éloges, et qui a brillé avec tant d’éclat dans l’école, qu’il a mérité d’être appelé, par des personnes des plus illustres, la plus grande lumière de la théologie. Après cela, je crois que vous l’écouterez avec respect et docilité. Or voici comme parle ce grand homme : « Je réponds que soit que le confesseur soit le propre prêtre du pénitent, soit qu’il ne le soit pas, il est obligé (tenetur) de l’absoudre en un tel cas, et cela se prouve évidemment. Un tel pénitent est en grâce et le confesseur juge probablement qu’il y est, parce qu’il sait que l’opinion qu’il suit est probable. Il ne doit donc pas lui refuser l’absolution. » Cela s’appelle non pas prouver, mais démontrer.

« Écoutez maintenant Lopes qui ne lui cède guère en doctrine : Cette conclusion se tire de Medina (c’est encore un de nos fameux docteurs) et il est évident par sa raison et par l’opinion qu’il soutient, que le confesseur ne peut refuser l’absolution au pénitent qui suit une opinion probable des docteurs, quoique le confesseur croye que l’opinion contraire est plus probable ; parce que le pénitent, puisqu’il a suivi une opinion probable, n’a point péché ; il n’y a donc nulle raison de lui refuser l’absolution. Et remarquez bien ces termes, tenetur, non potest ; car dans le style exact de l’école, les casuistes ne parlent jamais ainsi que pour marquer une obligation sous peine de péché mortel, et leur raison le prouve ; parce que ce serait faire une grande injustice au pénitent et dans une matière très importante. Êtes-vous content ?

« — Ô mon père ! lui dis-je, voilà qui est bien prudemment ordonné ; il n’y a plus rien à craindre : un confesseur n’oserait plus y manquer. Je ne savais pas que vous eussiez le pouvoir d’ordonner, sous peine de damnation ; je croyais que vous ne saviez qu’ôter les péchés, je ne pensais pas que vous en sussiez introduire : mais vous avez tout pouvoir à ce que je vois.

« — Vous ne parlez pas proprement, me dit-il, nous n’introduisons pas les péchés, nous ne faisons que les remarquer. J’ai déjà bien reconnu deux ou trois fois que vous n’étiez pas bon scholastique. — Quoi qu’il en soit, mon père, voilà mon doute bien résolu ; mais j’en ai un autre à vous proposer, c’est que je ne sais comment vous pouvez faire quand les pères de l’Église sont contraires au sentiment de quelqu’un de vos casuistes.