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faiblesse qui avaient déjà frappé Frédéric II à la fin de sa carrière. Mais le fond et la cause véritable de l’infériorité de l’armée prussienne étaient dans sa constitution sociale et dans son état moral. C’est là que les chefs du parti national n’hésitèrent point, au lendemain de Tilsit, à chercher les causes du désastre.


II

Pas plus que Stein et que Hardenberg, pas plus que les réformateurs politiques, les hommes de la réforme militaire n’appartenaient à la Prusse par leur naissance. Scharnhorst était le fils d’un fermier saxon, et Gneisenau celui d’un officier autrichien. Gneisenau avait vu le jour et commencé son existence mouvementée, durant la guerre de sept ans, dans les bagages de l’armée de Daun. L’une et l’autre avaient beaucoup couru le monde, cherchant, sous des maîtres différens, l’emploi de leur activité ; Scharnhorst dans l’armée coalisée sous les murs de Menin, Gneisenau jusque dans le nouveau monde. Comme bien d’autres, aussi nomades qu’eux, comme Blücher, le Mecklembourgeois, comme York, ils avaient fini, après avoir tenté la fortune de côté et d’autre, par s’attacher à la Prusse. Tant il est vrai que l’État prussien, ce type d’Etat encore incomplet, exerçait une puissance d’attraction particulière sur les Allemands, qui demandaient à une collectivité, douée de vie politique, un aliment à leur goût d’activité publique.

Scharnhorst était le seul qui fût roturier. Il avait pénétré, par la faveur du comte de Lippe, dans l’armée hanovrienne, et, de là, par une exception, dans l’armée prussienne, où, pour effacer la tache de son origine, le roi ne tarda pas à l’anoblir. Les autres, Gneisenau, Blücher, Boyen, étaient d’origine aristocratique. Il faut toutefois distinguer : ils appartenaient à des familles nobles, mais, depuis plus ou moins longtemps, séparées de la terre. Ils n’étaient point, en réalité, de cette caste de soldats agriculteurs, de cette caste de l’aristocratie foncière et militaire, de ce parti féodal, dont Marwitz est resté le type le plus achevé. C’étaient, — suivant l’expression d’un historien allemand, — des aristocrates in partibus infidelium.

S’ils appartenaient, par une longue carrière, à l’ancienne armée prussienne, ils y formaient une catégorie particulière et facile à reconnaître. Il existait, parmi les officiers prussiens, au commencement de ce siècle, des générations et des tendances très différentes. Les vieux officiers de la guerre de sept ans, comme Möllendorf, Kalkreuth, Brunswick, Lestocq, étaient arrivés à un âge