Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 101.djvu/385

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

maison d’Adhémar, les porte au généalogiste Chérin, qui, après un minutieux examen, les déclare authentiques. Grâce à MM. de Ségur et de Castries, le nouveau comte d’Adhémar est nommé colonel commandant du régiment de Chartres-Infanterie et présenté à la cour ; il épouse une riche veuve, Mme de Valbelle, dame du palais de la reine ; son ami Vaudreuil l’introduit chez Mme de Polignac. Un esprit aimable, sans portée, une voix charmante, beaucoup d’ambition et d’audace, il n’en fallait pas plus alors pour réussir quand on était de l’intimité de la favorite[1]. Elle le fit nommer ministre à Bruxelles, ambassadeur à Londres ; mais ses prières, ses larmes mêmes, le moyen par excellence auprès de la reine, échouèrent quand elle sollicita l’ambassade de Vienne, le ministère de la guerre. Peu intéressée pour elle-même, la duchesse mettait une ardeur fâcheuse à soutenir les prétentions de ses parens et amis. En face d’une telle âpreté, ne comprend-on pas le goût de Marie-Antoinette pour certains étrangers, le prince de Ligne, La Marck, Valentin Esterhazy, Stedingk, Fersen, qui l’ont adorée sans songer à l’aimer, et qui, eux, ne lui demandaient rien ?

Lieutenant-général, grand’croix de l’ordre de Saint-Louis, inspecteur-général des Suisses, puis lieutenant-colonel du régiment des Gardes Suisses, excellent officier pendant la guerre de sept ans, mais n’ayant pas le feu sacré qui fait les grands capitaines, homme de cour, épicurien de goûts et de principes, très attiré vers les lettres et les arts, qu’il aima sans les étudier ni les approfondir, le baron de Besenval a les défauts et les qualités de beaucoup de gens de son époque, que l’attrait du plaisir, la vie de salon et de boudoir détournèrent des fortes vocations et gâtèrent. Ses mémoires indiscrets, son existence, démontrent la loi immuable des contrastes, la dualité du personnage : plein de fatuité, partial, cynique et immoral dans ses jugemens, il a tout prophétisé, fait, défait les ministres, il aurait tout conjuré si on l’eût écouté (en réalité il contribua à la nomination du maréchal de Ségur et décida celle de Mme de Polignac). Ce n’est pas qu’il manque d’une certaine clairvoyance : ainsi il se mit à la tête de l’opposition contre Figaro et représenta cette comédie comme une satire du gouvernement ; il pressentait la révolution et comprenait qu’à côté, au-dessus de la conjuration des hommes, il y avait la conjuration des choses. Et puis il a une gaîté railleuse et goguenarde, gaîté charmante lorsque, montant à l’assaut d’une redoute au milieu d’un feu meurtrier, il

  1. Mémoires de Besenval, de Ségur, de Mme Campan. — Sainte-Beuve, t. XII. — Duc de Lévis. — Vicomte de Ségur : Œuvres diverses.