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d’état de faire l’avance des frais, dit au facteur d’apporter un mémoire : au bout de huit jours, ce bordereau montait à plus de mille francs, et Mirabeau, à qui il fut présenté, écrivit au bas : « Je soussigné, reconnais avoir reçu les lettres dont le montant est ci-dessus, et je promets de n’en jamais rien payer. » Le baron d’Ogny alla porter au roi cette singulière quittance ; et depuis lors il ne fut plus question pour Mirabeau de ports de lettres.

Un mot de Louis XVI, un vrai mot de roi ; de l’Isle n’a garde de l’oublier, car les mots authentiques des têtes couronnées sont rares, et l’on ferait un livre amusant en relevant ceux qu’on leur a de tout temps soufflés ou prêtés. Lorsqu’il annonça à M. d’Ormesson qu’il venait de le choisir comme contrôleur général des finances, celui-ci représenta qu’il était bien jeune : « Tant mieux, reprit Louis XVI, je le suis aussi, nous en aurons plus de temps à vivre ensemble. » Quant aux personnages en place, aux ministres, le chevalier, appartenant à une coterie, ne voit pas ou ne veut pas voir. L’aménité du caractère et du langage, des faveurs, beaucoup de faveurs, point de réductions, point de suppressions de sinécures, voilà le critérium du courtisan, le moyen de passer grand homme à ses yeux, et l’on se pâme devant la réponse de Calonne, le ministre léger avant, pendant, après, à la reine qui lui recommande un protégé : « Madame, si c’est possible, c’est fait ; si c’est impossible, ça se fera. » « M. de Calonne fait[1]jusqu’ici des merveilles, il trouve de l’argent, il en donne, il en assure ; il parle bien au conseil, bien à ses audiences, bien dans son cabinet. Je le crois depuis longtemps homme d’état, et je me le persuade plus que jamais. Il ne remplacera point les trois commis renvoyés, pouvant, dit-il, se passer de personnages aussi chers, car chacun d’eux avait 64,000 francs d’appointemens… » Il fallait un homme d’état, on prenait un homme du monde, causeur séduisant, dialecticien spécieux, incapable de travail soutenu, ignorant et les chiffres et le crédit qui est l’alchimie de la richesse. Ce trait suffirait à le peindre : pendant l’assemblée des notables, il devait remettre à jour fixe certain mémoire très important et avait négligé de s’en occuper : afin de présenter une excuse, il fit mettre le feu au contrôle général de Versailles. N’est-ce pas un procédé digne du sauvage qui abat le palmier pour obtenir le fruit ? Plus tard, Chateaubriand définira le prince de Polignac, ministre de Charles X : un muet éminemment propre à étrangler un empire. Des parleurs comme Calonne peuvent contribuer au même résultat[2] ;

Un autre ministre léger, auquel de l’Isle semble s’intéresser

  1. Lettre du 2 décembre 1783 au comte de Riecour.
  2. Lettres d’octobre et novembre 1781.