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Mme de Neuvri était la rivale en beauté et en amour de Mme de La Salle, et elles se détestaient si fort que le bruit courut d’une rencontre à l’épée. Toutes deux fort légères, prétendant à tout prix acquérir la célébrité, et, j’imagine, au moral de la même lignée que cette vicomtesse de Laval, qui, ayant parié d’aller à un bal auquel on ne l’avait pas invitée, se fit enfermer dans un clavecin et en sortit toute parée au moment où les musiciens jouèrent le premier menuet ; toutes deux d’esprit alerte et capables de répondre comme Mme de Balbi à Mme de Matignon, qui lui reprochait et médisances et calomnies : « Eh bien ! sommes-nous quittes ? » Quant à de l’Isle, en vrai fils du XVIIIe siècle, il porte ses hommages de l’une à l’autre, appelle Mme de La Salle : un prodige de grâces, de talens et d’extravagance, et, pour avancer ses affaires, recourt au vieux, à l’éternel moyen, celui qui caresse le mieux l’amour-propre féminin, le madrigal :


Eglé, tu nous parais la rose
Dont le bouton naissant
Ouvre sa feuille à peine éclose
Au feu d’un zéphir caressant.
Comme elle, à peine en son aurore,
Tu réunis son éclat, sa fraîcheur ;
Pour être, Églé, plus belle encore,
Comme elle aussi, tu dois prendre un vainqueur.


Modes, enfans, propos de salon, poésies jouent naturellement le principal rôle dans les lettres du capitaine à Mme de Riocour : homme précieux entre tous, pour qui la science de Mmes Adélaïde, Beaulard et Bertin n’a point de mystère, qui se constitue auprès de ces personnes célèbres le ministre plénipotentiaire de sa cousine et obtient pour les toilettes choisies par lui[1] l’approbation de la marquise de Coigny, « l’oracle du bon goût, comme elle en est le chef-d’œuvre, » qui sait ce qui se passe à la cour et vit dans l’intimité de ces familles qu’on avait surnommées les quatre coins

  1. Les mémoires du temps ont rapporté la réponse de Mme Bertin à une cliente difficile : « Présentez donc à madame les échantillons de mon dernier travail avec Sa Majesté ; » son mot au marquis de Toulongeon, qui se plaignait de ses prix exorbitans : « Ne paie-t-on à Vernet que sa toile et ses couleurs ? » Il faut, pour avoir une idée de ces insolences d’artistes, lire dans Dutens le récit de la visite du chevalier de la Luzerne au cordonnier Charpentier. A Mme de Pompadour, qui veut savoir la raison de sa réputation. Dagé répond tranquillement : « Je coiffais l’autre, » mot qui ravit la Dauphine. — Voir aussi les Mémoires de Maurepas, de Soulavie, de Bachaumont. — Les Contemporaines, t. XII. — Le Tableau de Paris, t. XI. — Correspondance secrète, t. Ier. — Correspondance de Grimm, t. V. — Les Panaches ou les Coiffeurs à la mode, comédie en un acte, représentée au Grand-Théâtre du Monde, Londres, 1778. — Goncourt : la Femme au XVIIIe siècle. — Les Modes, épître à Beaulard.