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impression : il lui demeura fidèle pendant plusieurs mois, et ne cessa de l’aimer tout en la trompant le plus discrètement du monde. (Grave problème sur lequel les hommes et les femmes resteront sans doute en éternel désaccord.) Elle mourut d’une maladie de poitrine, après six ans de mariage, répondant délicieusement à son mari qui s’informait si elle était contente de son confesseur, le Père Ségaud : « Assurément, car il ne m’a pas défendu de vous aimer. » Et soit qu’il fût encouragé par le souvenir de cette créature exquise, soit qu’il se crût au-dessus des lois de la nature et qu’il eût rayé de sa destinée le mot vieillesse, il n’hésitait pas, malgré ses quatre-vingt-quatre ans, à tenter une troisième aventure, se remariait et semblait commencer une nouvelle vie. Et il terminait sa carrière à quatre-vingt-douze ans, en 1788, à la veille de cette catastrophe que l’éclat, la contagion de ses vices hâtaient, achevaient de rendre inévitable.


VI
Princes et rois, si vous savez l’histoire[1],
Vous avez tous présent à la mémoire
Ce grand combat, ce spectacle fameux,
Près d’Actium, lorsque l’on vit sur l’onde
Flotter l’empire et le destin du monde.
Ce fut, je pense, en sept cent vingt et deux.
Vous savez tous comment l’habile Octave,
Toujours heureux, sans être jamais brave,
Eut la victoire et ne combattit point ;
Comment Antoine, épris jusqu’au délire
D’une beauté perfide au dernier point,
Laissa pour elle et la gloire et l’empire.
Mais savez-vous quand, du combat d’Épire
Rome avilie attendait un tyran,
Ce que faisait dans Rome un courtisan ?
Vous l’ignorez, et je vais vous le dire.
Il instruisait douze de ces oiseaux
Au pourpoint vert, dont la langue indiscrète,
Comme nos sots, tant bien que mal répète
Les mots épars qu’on jette en leurs cerveaux.
Six pour Antoine, et l’autre moitié contre,
Forment des vœux par le flatteur dictés.
Octave arrive ; on vole à sa rencontre,
Et jusqu’aux cieux ses exploits sont portés.
Dès qu’il paraît, suivi de ses phalanges,
Des Antonins les six cous sont tordus.
Le reste dit : « Vivat Octavius ! »
Princes et rois, fiez-vous aux louanges !
  1. Avis aux Princes, ou les Perroquets, conte historique, écrit par de l’Isle en 1774. « Voltaire, dans ce genre, n’a rien fait de mieux, » observait Mme du Deffand, et Mme de Choiseul partage son avis, bien que la fin lui semble, à elle aussi, un peu écourtée.