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notre requête fût accueillie et s’en remettre au ministre de la guerre pour la délivrance du passeport et l’octroi des moyens de transport. Au bas, les noms d’ARMELLINI et de GIUSEPPE MAZZINI. Par note additionnelle, signée AVEZZANA, trois paires de chevaux à prendre dans le régiment du colonel Lopez étaient mises à notre disposition. Notre passeport était collectif. Dix-huit noms y étaient inscrits[1]. Nous partîmes, le 8 au soir, par la route de Toscane, qui nous avait été indiquée. Nous n’emportions aucun bagage, et quand nous arrivâmes à Florence, nous étions à bout de ressources. M. Alaux écrivit aussitôt deux mémoires dans lesquels il expliquait sa conduite ; l’un fut adressé au ministre de l’intérieur, l’autre à l’Académie des Beaux-Arts. Il alla voir le comte Walewski-Colonna, alors notre ministre près du gouvernement qui attendait le retour du grand-duc. Il en reçut bon accueil, et le comte, en réalité, nous empêcha de mourir de faim. La réponse aux lettres du directeur devait se faire attendre. Nous nous établîmes tous dans un petit hôtel situé dans une rue écartée, et, employant le temps de notre mieux dans les musées et dans les églises, nous nous tînmes à la disposition des événemens. Ils se précipitaient. Le 11 mai, les Autrichiens, commandés par le baron d’Aspre, s’emparaient de Livourne et, par Pise, remontaient à Florence, où tout un corps d’armée se trouva réuni après la prise de Bologne. Le vieux maréchal Radetzky vint l’inspecter et nous montrer ses quatre-vingts ans. Mais nos regards se portaient uniquement sur Rome, dont le siège dura pendant tout le mois de juin. On sait comment la prise d’un bastion, situé près de la porte Saint-Pancrace, mit fin à la défense : Rome fut rendue. Dès que l’événement fut connu, M. Alaux pressa notre retour et réinstalla l’Académie à la villa Médicis. Elle était pleine de soldats. Les jardins avaient beaucoup souffert et les ateliers placés sur le mur d’enceinte et convertis en réduits étaient complètement ruinés : c’était la guerre. Mais le palais était intact. On y retrouva tout ce qu’on y avait laissé, et chacun y rentra en possession de ce qui lui appartenait. Pour nous, nous étions restés unis et nous nous revoyions avec bonheur dans notre chère villa ; jamais nous n’avions mieux senti qu’elle était une terre française. Dans des jours critiques, elle avait été un asile : elle avait conservé son drapeau. Ce drapeau, nous le rapportions de Florence, et il flottait de nouveau sur notre foyer. Les

  1. Étaient inscrits sur le passeport : M. et Mme Alaujt. MM. Damery, Félix Barrias, Achille et Léon Benouville, Cabanel, peintres ; Lequesne, Eugène Guillaume, Maillet, sculpteurs ; Charles Garnier, architecte ; Delemer, Jean Aubert, Devaux, graveurs en taille-douce ; Chabaud, graveur en médailles ; Deffès, Duprato, compositeurs de musique, et une personne au service de Mme Alaux.