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tenir réunis autour de lui et appliqués à nos études. Ayant la responsabilité de l’institution et de nos personnes, il ne pouvait laisser l’Académie se dissoudre. Aussi, après s’être consulté avec les pensionnaires qu’il trouva unanimement décidés à le suivre, décida-t-il qu’il fallait quitter Rome et essayer de se transporter à Florence ou dans quelque autre grande ville où l’on pourrait, dans une certaine mesure, retrouver les conditions de vie que notre règle nous imposait.

Les démarches pour obtenir l’autorisation de partir devaient être entreprises sans retard. On pouvait le penser, les triumvirs désiraient garder l’Académie, non comme un otage, mais comme une preuve de leur sympathie pour notre pays. Ils voulaient aussi que l’Académie restât pour témoigner, par sa présence, d’une sorte d’adhésion à l’état politique qui prévalait à Rome. Leur théorie était que la république romaine était en guerre avec le gouvernement français, mais non pas avec la France. Comment aborder des hommes qui, sans se refuser peut-être à reconnaître ce que la demande de notre directeur avait de logique, n’étaient pas disposés cependant à en tenir compte ? La négociation pouvait ne pas aboutir. M. Alaux, obligé d’être toujours présent là où l’Académie était de fait, m’avait donné pleins pouvoirs pour traiter de notre sortie de Rome. J’allais donc au palais de la Consulte, où résidait le gouvernement, et j’étais introduit sans peine auprès des triumvirs. Ils donnaient audience au fond d’un grand salon qu’il fallait remonter tout entier avant de les joindre. Ils étaient debout. Je crois les voir encore, et d’abord Mazzini avec sa figure ascétique, sa pâleur d’ivoire, son large front sur lequel étaient appliqués ses cheveux noirs et tout son personnage mince, élégant et grave. Près de lui et ne le perdant pas des yeux, Saffi, en uniforme de garde nationale, se tenait immobile et muet. Autour d’eux et toujours en mouvement était Armellini, petit, âgé déjà et ayant le masque ferme d’un légiste romain. J’exposais l’objet de ma démarche et Mazzini me répondait : « Pourquoi vouloir quitter Rome ? Vous savez bien que vous n’y êtes pas en danger. L’Académie est une institution française ; mais aussi elle est romaine, et nous nous en faisons gloire. S’il en était besoin, nous vous protégerions comme des concitoyens. Et en réalité, nous ne sommes pas en guerre avec la France : nous nous défendons contre ceux qui la gouvernent… » Et à ce sujet un fort beau discours. Sa voix était un peu grêle et légèrement frémissante ; une de ces voix qui sont puissantes sur les foules et qu’ont eue plusieurs grands orateurs. J’insistais néanmoins… « Eh bien ! soit, disait-il. Mais, vous le comprenez, la ville est en état de siège, et nous ne pouvons rien. Tout est entre les mains