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qu’inspiraient de tels actes pénétraient les cœurs et faisaient de Rome un milieu dans lequel il était bon de vivre et où s’exaltait notre jeunesse. Amour de la patrie, amour de la liberté, amour des hommes, ferme confiance que le progrès allait s’accomplir au milieu de la paix universelle, tels étaient les sentimens dont se nourrissaient les âmes. Telle était l’atmosphère morale dont nous étions enveloppés.

La révolution de février vint donner aux idées une autre direction. L’année 1848 est déjà loin de nous ; mais on ne peut oublier combien elle fut féconde en événemens d’une gravité immédiate et d’un sens prophétique. Le fait en lui-même n’aurait pas dû nous surprendre. Près de nous, les insurrections de Livourne, de Palerme et de Naples en avaient été le prélude. Des constitutions avaient été arrachées aux gouvernemens des Deux-Siciles, de Piémont et de Toscane. Mais la révolution de France vint donner aux choses leur signification véritable. Les opinions que l’on croyait simplement libérales se montrèrent comme des revendications démocratiques, et le socialisme parut avec ses théories. En même temps plusieurs peuples se soulevèrent en invoquant le principe des nationalités, dont le triomphe était l’agglomération des populations de même race en de grands états unifiés. On ne peut pas dire que la forme républicaine fût celle à laquelle tendaient ostensiblement les mouvemens qui se produisaient partout à la fois. Mais c’était la révolution partout ; et en la voyant éclater de toutes parts avec tant d’énergie, je ne sais si l’on est autorisé à croire que chez nous, comme ailleurs, il eût été possible de la conjurer.

Quel spectacle présentait alors l’Europe ! Quelles contradictions et quelles luttes ! Quels souvenirs ! À cette époque, Rome était loin de Paris et du nord de l’Europe ; nous ne pouvions pas bien suivre les événemens. Nous les apercevions seulement par de certains côtés. Ainsi, nous voyions des soulèvemens éclater dans plusieurs capitales et souvent le même jour : le 18 mars, à Stockholm, à Milan, à Berlin ; le 15 mai, à Berlin, à Paris, à Naples, à Milan, à Turin, à Rome, à Vienne et jusqu’à Londres. Les émeutes de Berlin, à la suite desquelles le roi Frédéric-Guillaume fut par deux fois contraint de saluer les cadavres des insurgés qui avaient péri dans la lutte, nous causaient une grande impression, parce qu’elles se traduisaient pour nous en de vives images. Cependant le parlement de Francfort s’assemblait et les doctrines unitaires s’y formulaient avec force. Au nom de l’Allemagne, il revendiquait déjà, outre les duchés incorporés au Danemark, la Suisse allemande, la Hollande et le Limbourg, l’Alsace et la Lorraine et bientôt le versant méridional des Alpes. A l’intérieur, il visait à substituer à la confédération d’états existante un état fédéré. La théorie formulée, je crois,