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« Si un clerc est interrogé à la porte d’une ville s’il a avec lui quelque chose de sujet à la douane, et qu’ayant en effet quelque chose de cette nature, il répond que non, ayant dans sa pensée qu’il n’est point obligé à rien payer (c’était un privilège des clercs), il ne fait point mensonge, quoiqu’il entende sa réponse dans un autre sens que celui à qui il la fait ne l’entend. »

La décision est de saint Antonin.

« On poursuit un homme pour le tuer, on demande à un autre qui l’a caché dans sa maison, s’il n’y est pas. Sauf meilleur avis, voilà la manière dont cet homme doit se conduire. Premièrement il doit s’abstenir de répondre, comme dit saint Augustin ; s’il prévoit que son silence sera pris pour un aveu, il tâchera de détourner le discours, ou bien il faut qu’il réponde par une équivoque, par exemple, non est hic, id est non comedit hic ; par ce moyen, il trompera ceux qui l’écoutent sans commettre le péché de mensonge, parce que est quand il vient d’edo signifie il mange, aussi bien que comedit, et cela signifie dans l’esprit de celui qui interroge cet homme n’est pas ici et pour celui qui répond, cet homme ne mange pas ici. »

Cette ingénieuse direction d’intention est recommandée par saint Raymond de Peñafort, mort en 1275.

Il est certain, ces citations ne peuvent laisser de doute, que les cas de conscience cités avec indignation par Pascal sont empruntés aux docteurs les plus illustres et aux saints les plus vénérés.

Suivons dans ses détails une discussion qui a fait quelque bruit.

Le jésuite Lessius a dit : « Les biens acquis par une voie honteuse sont légalement possédés et on n’est pas obligé de restituer. »

La décision, suivant le père Annat, est empruntée à saint Thomas, et Lessius en a informé le lecteur. Wendroch, c’est-à-dire Nicole, dans l’édition latine qu’il donne des Provinciales après avoir relu Térence, le nie formellement, et, pour prouver son dire, renvoie au passage de saint Thomas. « Écoutons saint Thomas, dit Nicole, 2. 2. 9. 32. art. V. Je fais ce qu’il demande et j’ouvre la Somme, Secunda, secundae ; nous y trouverons, en suivant l’indication de Nicole : Tertio modo est aliquid illicite acquisitum non quidem quia ipsa acquisitio sit illicita, sed quia id ex que acquiritur est illicitum, sicut patet de eo quod mulier acquirit per meretricium. Et hoc proprie vocatur turpe lucrum. Quod enim mulier meretricium exerceat, turpiter agit et contra legem Dei. Sed in eo quod accipit, non injuste agit nec contra legem, unde