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maîtres eux-mêmes. De l’atelier de David d’Angers est sorti Cavelier, qui, depuis vingt-cinq ans, a formé de si brillans sculpteurs. Ramey a produit Jouffroy, qui fut le professeur de Falguière et de Mercié. Je ne nomme ici que les principaux de ceux qui ont enseigné et qui enseignent à leur tour. Mais ces derniers ne me pardonneraient point de passer sous silence les hommes dont ils ont reçu les leçons et pour lesquels ils n’ont que des sentimens de respect et de reconnaissance. De même Chapu et mes autres condisciples ne comprendraient-ils pas que j’oubliasse Pradier, qui, avec son beau talent et son humeur paternelle, faisait revivre pour nous l’apprentissage tel qu’on l’avait entendu à la Renaissance.

M. Alaux, lui aussi, était destiné à bien mériter de nous comme directeur de l’école de Rome. En vérité, chacun de ces artistes a dignement rempli sa tâche et tenu son rang. Tous ensemble, ils ont constitué un état d’enseignement qui est la force de notre école et la raison de sa fécondité. Après avoir été les représentans impersonnels de l’art français au milieu de notre siècle, ils ont préparé, par voie de tradition et aussi de réaction, l’art contemporain. Ils l’ont acheminé et ils l’expliquent. Qu’on le veuille ou non, ils appartiennent à l’histoire.

M. Alaux et ses condisciples se préparaient donc à leur insu au rôle que l’avenir leur réservait. Ils étudiaient en conscience, et il se faisait en eux un grand travail de moralité. Personne ne me contredira si j’affirme que le séjour de la villa Médicis avait alors, comme il l’a certainement encore, une heureuse influence sur les esprits. En même temps que les talens, les caractères s’y formaient sur un certain type ; ils y prenaient une tenue qu’ils devaient garder toute la vie. Nos maîtres étaient déjà vieux quand nous les avons connus. Le temps de leur jeunesse était bien loin, mais on voyait que leurs idées n’avaient pas changé. Rome demeurait dans leur souvenir comme une patrie d’élection qu’habitait toujours leur pensée. Le désir de faire fortune n’entrait pas dans leur ambition. Ils étaient exempts de calcul. Mais ils avaient un grand sentiment de la dignité de l’art, et c’est par là qu’ils étaient supérieurs. L’amour de l’art uni à un désintéressement absolu était précisément cette marque commune qu’ils avaient rapportée de l’Académie de France et qui constituait chez eux le caractère de l’artiste. Ces deux sentimens étaient en eux inséparables. Certes, nous aussi, nous aimons l’art avec passion ; mais par leur dédain du profit ils restent des exemples.

Quels étaient les travaux au milieu desquels se formaient ces talens et cet état d’esprit ? Il n’est pas permis d’en parler à la légère ; nos devanciers en ont tiré un parti remarquable. Je voudrais en faire comprendre le sens et la véritable portée. C’étaient des