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de l’éducation libérale, surtout dans un pays où l’esprit religieux est affaibli et où la morale est devenue toute laïque. Nous établissons donc dans l’enseignement secondaire une partie éducative immuable et une partie instructive variable, des classes fondamentales obligatoires et des cours facultatifs. Notre devise n’est pas le moins du monde : Omnibus omnia, mais : Omnibus optima.

Quant à une éducation française avec addition de sciences et de langues vivantes, elle n’est nullement méprisable en elle-même, mais elle n’est pas le vrai type d’enseignement secondaire classique, libéral et national. Quelque profitable que soit une telle éducation, elle sera inférieure et devra être hautement déclarée telle dans l’intérêt des études classiques, tant que nos conditions de grandeur et d’influence nationales, ainsi que celles des autres peuples, ne seront pas assez profondément modifiées pour nous permettre à l’égard des lettres latines l’indépendance du cœur, — et même pour la permettre à toutes les nations. Ou vous voulez et pouvez faire vos humanités, ou vous ne le voulez ni ne le pouvez ; tout est là, mais il n’y a pas dix façons de faire ses humanités dans une nation donnée, avec son passé donné, son avenir à assurer, son unité intellectuelle à sauvegarder, son rang à maintenir en face des autres nations. Croit-on que le philosophe qui écrit ces lignes ait la superstition du latin pour le latin même ? Non, mais il a la superstition de la gloire française. Les erreurs en éducation sont les pires de toutes, parce qu’elles compromettent des générations entières. Au Sedan militaire n’ajoutons pas nous-mêmes un Sedan intellectuel.

Le vrai but de l’enseignement spécial doit être de donner aux médiocrités de tout genre le moyen de devenir, non des lettrés ou des artistes, mais des Marthes masculines qui s’occuperont intelligemment du grand ménage national, tout en ayant un commencement de culture littéraire, une ouverture sur les choses de l’esprit. Il est besoin de beaucoup de Marthes, non pas seulement de Maries ; ce n’est pas une raison pour accorder aux unes et aux autres des palmes de même valeur. Un homme peut en valoir un autre, comme homme ; mais un forgeron ne vaut pas un cordonnier, comme cordonnier, et un cordonnier ne vaut pas un forgeron, comme forgeron : Ne sutor ultrà crepidam. Le conseil supérieur s’est laissé arracher le baccalauréat de l’enseignement spécial ; ce fut sa première faute. Ce jour-là, l’ennemi était dans la place ; si on l’y laisse, il envahira tout le reste : il a les appétits d’un parvenu. Le remède est simple et radical. Il faut supprimer le baccalauréat spécial et, tout en fortifiant l’enseignement spécial sur son vrai domaine, le renvoyer à l’étage au-dessous. On le rendra ainsi à sa destination primitive, que son fondateur lui avait