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considérées dans tous les pays comme seules classiques[1] ? Est-ce là le meilleur emploi à faire de nos finances ? Il vaudrait infiniment mieux consacrer les mêmes ressources à organiser « le grand service public qui nous manque, » un véritable enseignement professionnel. Nous avons huit écoles commerciales, l’Allemagne en a deux cents ; nous avons une douzaine d’écoles industrielles, elle en a plus de cent. En face d’une telle situation, gaspiller les finances de l’instruction publique pour tuer l’enseignement classique, qui seul nous reste, sans même le remplacer par un véritable enseignement professionnel, ce serait plus qu’une folie au point de vue national et international. Si les études professionnelles et techniques étaient sérieusement organisées, une partie de nos soixante mille élèves, après quelques années d’enseignement spécial, se reporterait vers ces études ; la preuve en est dans le chiffre déjà considérable d’élèves du cours spécial. Il ne resterait que les jeunes gens destinés à faire réellement de vraies « humanités » et à les poursuivre jusqu’au bout.

C’est donc là qu’est la solution : il faut organiser, non pas deux types égaux d’instruction secondaire, mais trois degrés inégaux d’instruction : l’un classique, l’autre spécial, le troisième professionnel. La diversité ne doit s’admettre, dans l’enseignement secondaire, que pour diverses branches du savoir et de l’instruction proprement dite, notamment les sciences particulières, dont l’une peut fort bien se substituer à l’autre, les particularités de l’histoire ou de la géographie, et enfin le grec. Si, par exemple, vous prévoyez que la mécanique vous sera particulièrement utile plus tard, apprenez la mécanique et laissez la botanique ou la minéralogie ; si vous préférez à la mécanique le droit usuel ou la géographie commerciale, ou même la comptabilité, choisissez à votre aise ; on ne saurait voir là le plus léger inconvénient : dans la « chimie mentale, » dix atomes de droit usuel peuvent remplacer dix atomes de géographie : c’est le seul genre de spécialisation anticipée qui soit sans danger au collège. Mais la diversité ne peut s’admettre pour tout ce qui est l’âme même de notre éducation classique, à savoir : notre langue nationale, qui est le français ; notre seconde langue nationale historiquement et littérairement, qui est le latin, — et qui de plus est la langue internationale pour la culture des classes instruites ; la théorie générale des sciences mathématiques et physiques, qui est la même pour tous ; la philosophie et la morale, études originales et sans équivalons, qui sont le couronnement nécessaire

  1. Même en Amérique, on fait beaucoup de latin et de grec, les jeunes filles apprennent souvent le latin. On a introduit des élémens de latin jusque dans les écoles primaires.