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supérieur font corps. En France, pays de bourgeoisie et de démocratie, en même temps que pays catholique, c’est pure chimère d’espérer un résultat analogue. Il faut que l’enseignement secondaire puisse au besoin se suffire. Ceux qui veulent aujourd’hui le subordonner à l’enseignement supérieur, l’appauvrir même et le restreindre, sous prétexte de renvoyer plus tard les jeunes gens à des universités imitées de l’Allemagne (mais où on recevra l’enseignement supérieur sans même connaître un mot de latin), nous paraissent mal se rendre compte de la différence entre les deux pays. Il faut assurément fortifier et enrichir l’enseignement supérieur, et c’est ce que l’on fait ; il faut aussi organiser l’enseignement professionnel, et c’est ce qu’on ne fait pas ; mais ce qui importe avant tout, c’est de fortifier le seul enseignement qui ait pour objet propre non plus le savoir et ses applications pratiques, mais la culture intellectuelle, esthétique, morale et civique d’une jeunesse appelée à former le cerveau de la patrie.


IV

En résumé, c’est au moment où, en Allemagne, en Italie, en Angleterre même, on s’inquiète de l’accroissement des écoles réelles et du « réalisme » qu’elles favorisent, c’est au moment où l’on propose, dans ces pays, d’en revenir au a collège secondaire unique, » qu’on voudrait, en France, substituer à la culture classique une sorte d’arlequin anglo-germano-scientifique, supprimer l’étude des lettres latines, qui est de tradition vraiment française en même temps qu’universelle, et qui a contribué au développement de l’influence française. Pour nous, nous ne pensons pas que l’heure soit encore venue de rompre avec une littérature dont la nôtre est le prolongement. « Messieurs les Anglais, messieurs les Allemands, tirez les premiers ! »

Mais ils s’en gardent bien. Les Allemands, en particulier, à côté de leurs écoles réelles, conservent avec soin leurs gymnases, où l’on étudie neuf ans le latin et sept ans le grec. Dans leurs écoles réelles elles-mêmes, du moins dans celles de première classe (gymnases réels), ils réintègrent le latin, jusqu’à lui donner, dans certains établissemens, cinquante-quatre heures par semaine (réparties sur neuf années) ! En France, faut-il employer les ressources de l’État, — si limitées, — à doubler inutilement l’enseignement secondaire, pour le seul plaisir de remplacer le latin (ce cran de sûreté de l’enseignement littéraire) par une langue vivante et de créer ainsi une concurrence fatale aux études