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aurons un baccalauréat de l’enseignement français. Tout ce que le conseil supérieur craignait et recommandait d’éviter deviendra une réalité malgré lui et contre lui. L’enseignement spécial, surtout si on l’érigé en enseignement classique français, conduira au même résultat positif que les études gréco-latines en moins de temps et avec moins de sacrifices : il s’imposera donc naturellement aux parens et aux enfans. Comme l’avait prédit M. Rabier dans son rapport, les études classiques paraîtront choses vieillies et hors d’usage. On n’aura plus ni hésitations ni remords à fuir devant l’effort intellectuel désintéressé que demandent les langues anciennes. C’est une tentation offerte à la paresse des jeunes gens, dont la faiblesse des familles se fait de nos jours si aisément complice. Ainsi, concluait M. Rabier au nom du conseil supérieur, « l’extinction graduelle de l’enseignement classique actuel, voilà la fin où tend, qu’on le veuille ou non, qu’on se l’avoue ou non, la réforme. » Et c’est cette prétendue « réforme » qu’il s’agit aujourd’hui de faire triompher définitivement. La dernière sauvegarde des études classiques, le droit, en supposant qu’on la maintienne, sera insuffisante et inefficace. Elle ne ramènera au véritable enseignement classique qu’une infime minorité d’écoliers. D’ailleurs, les radicaux simplistes, dont la logique à œillères ne voit ni à droite ni à gauche, s’écrieront : Pourquoi apprendre le latin et le grec quand on doit plaider en français ? — Voilà donc le résultat final des réformes récentes : on proclame bien haut que « les aspirans aux carrières scientifiques feront du latin et du grec jusqu’à la fin de la rhétorique. » Quel triomphe pour les fidèles du grec ! Mais attendez la fin : in cauda venenum, disaient nos pères. On fera du latin et du grec, si on refuse de passer à « l’enseignement classique français, » qui, par le chemin le plus court et le plus fleuri, conduira aux mêmes carrières. La porte échappatoire est donc ouverte à deux battans, — vous voyez d’ici la débandade. Les professeurs de latin, de grec, de philosophie resteront seuls avec leur « élite de délicats, » qui se composera d’eux-mêmes, de leurs collègues et de quelques prétendans à l’École normale (section des lettres seulement). Quant à la France, elle sera alors définie par les autres nations : — un pays dit néo-latin, à population décroissante et à culture littéraire décroissante, autrefois le plus lettré de tous, où aujourd’hui savans et professeurs de sciences, médecins, polytechniciens, officiers supérieurs, administrateurs même et magistrats ne peuvent entendre deux mots de latin sans rougir.


L’exemple dont on prétend s’autoriser, ce sont les « écoles réelles » d’Allemagne, dont on se fait l’idée la plus fausse. Ces