Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 101.djvu/266

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans tous les ordres d’application. Et, en Allemagne, les écoles réelles ne représentent pas simplement, comme notre enseignement spécial, les épaves de l’enseignement classique : il y a des jeunes gens bien doués qui, se destinant à quelque haute profession industrielle, choisissent l’école réelle ; or, selon M. Dubois-Reymond, ils restent finalement inférieurs. Ainsi, d’après la statistique, qui partage avec la géographie et la mécanique la royauté du jour, l’étude des langues et des littératures anciennes serait la plus propre à développer les facultés fondamentales d’où les facultés scientifiques doivent recevoir l’impulsion. Au reste, il peut se rencontrer des génies dans l’enseignement spécial et même dans l’enseignement primaire, comme il se rencontre des nullités dans l’enseignement classique ; mais ce ne sont pas les individus qu’il faut considérer, c’est l’esprit général développé par un enseignement et par les traditions qu’il représente ; c’est surtout le rapport de cet esprit à la conservation et au progrès de l’esprit national. Quand même, dans quelques concours particuliers entre élèves classiques et élèves de l’enseignement spécial, ceux-ci soutiendraient la lutte pour le français et les sciences, ce résultat ne prouverait nullement que le nouveau système pût être généralisé sans danger pour le pays. L’esprit littéraire, jusqu’ici entretenu en France par l’éducation classique, se communique à tous par contagion, même dans l’enseignement spécial, et cet esprit durera encore un certain nombre d’années ; mais tarissez les sources classiques, alourdissez le milieu intellectuel des classes dirigeantes, changez le climat moral de la France, vous aurez bientôt une France utilitaire et prosaïque. Ce jour-là, à vrai dire, la France aura cessé d’exister moralement et politiquement.


III

Déjà, en 1886, on a essayé de faire accepter au conseil supérieur de l’instruction publique la transformation de l’enseignement spécial en « enseignement classique français. » Le projet de réforme commençait par ces mots : « Le nouvel enseignement sera général et classique ; il devra être organisé de manière à répondre aux besoins nouveaux de la société moderne et à attirer vers les études secondaires françaises les jeunes gens qui n’ont ni le goût, ni le loisir de se livrer à l’étude des langues mortes. » Le conseil supérieur n’eut pas de peine à comprendre qu’on voulait faire dévier l’enseignement spécial du but que ses origines et son nom même lui assignaient. Il eut soin de déclarer qu’il repoussait formellement l’idée d’une assimilation de