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en moyenne, un père de famille qui se placera au point de vue des intérêts de la nationalité et de la race, qui se préoccupera de l’élite intellectuelle à conserver ou à recruter, de la sélection à opérer, de la tradition nationale à maintenir, des progrès à assurer en même temps, enfin de la lutte à soutenir avec les nations voisines et de ce qu’on pourrait appeler les intérêts internationaux de l’enseignement ? Consulter les pères ou les mères sur le rôle du grec et du latin dans l’enseignement secondaire, sur la valeur comparative des lettres et des sciences pour l’éducation, sur la place de la philosophie, ce serait presque aussi imprudent que de consulter les enfans. Voyez les journalistes, les littérateurs, les hommes de science, les hommes de lettres, les membres des académies des sciences et de médecine, les ministres mêmes, combien y en a-t-il qui montrent une compétence dans les questions d’enseignement ? Un savant nous a dit en pleine Académie de médecine : « Le grec ne sert pas pour les chirurgiens ou les médecins, donc il faut supprimer le grec. » Un sénateur nous a dit : — Nous avons besoin d’industriels et d’agriculteurs, donc il faut supprimer le latin. — Tel ministre voulait jadis la restauration des études classiques ; tel autre faisait en Sorbonne l’éloge des langues vivantes. Rien n’égale le chaos des opinions pédagogiques, sinon le chaos des opinions politiques. Que le gouvernement, dans ce désarroi, propose aux parens et aux enfans un moyen expéditif d’études classiques, comprenant le français, les langues vivantes et les sciences, avec baccalauréat et promesse d’entrée dans les administrations ; aussitôt les pères de famille précipiteront en aveugles leurs enfans vers ces études en apparence plus utiles ; et les enfans eux-mêmes d’applaudir : ils resteront moins longtemps sur les bancs du collège ; ils échapperont au latin, à ce grec qu’on veut aujourd’hui leur faire apprendre jusqu’à la fin de la rhétorique ; on ne leur parlera que de français, d’anglais ou d’allemand, — ce qui, de loin, leur semble facile ; — on leur enseignera, il est vrai, des sciences parfois ennuyeuses, mais qui paraissent nécessaires pour gagner plus tard de l’argent. À la bonne heure ; choisissons les palmes au rabais ! Primo vivere, deinde non philosophari.

Puisqu’on demande des faits et des raisons positives, il est un fait constaté par des observations nombreuses en France, en Allemagne, en Belgique, en Angleterre : c’est la supériorité moyenne des élèves qui ont fait des études classiques sur ceux qui n’ont reçu qu’une instruction scientifique et « moderne. » M. Dubois-Reymond constate que les élèves des gymnases, les humanistes, même médiocres, sont supérieurs aux autres dans celles des écoles spéciales où on admet quelques élèves des écoles réelles, ainsi que