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voulez créer encore un baccalauréat de l’enseignement classique français, plus facile que l’autre, qui, dans votre intention, conférera les mêmes privilèges que l’ancien, ouvrira les mêmes carrières, donnera accès aux administrations et aux écoles de l’État, suscitera enfin toutes les ambitions. S’il y a trop de bacheliers, qu’on en reçoive moins, et qu’on se montre plus sévère dans les examens sur le fond même des humanités ; que, dans le lycée, on établisse des examens de passage sévères qui éliminent les incapables ou les paresseux ; voilà les vrais remèdes. Ce n’est pas tout ; vous nous annoncez de véritables « humanités » modernes, un enseignement « libéral » dégagé de toute visée professionnelle, ayant toutes les qualités de l’enseignement classique, se proposant comme lui la « culture des esprits ; » et d’autre part, vous avouez que vous visez les professions agricoles, industrielles et commerciales. Il faudrait pourtant s’entendre. En quoi, d’ailleurs, sera-t-on mieux préparé à ces professions par les humanités modernes, si, comme vous l’annoncez, celles-ci ne doivent constituer qu’une culture vraiment générale, classique même, « nullement spéciale et professionnelle ? » Suffit-il donc d’ignorer le latin et d’avoir fait à la place des thèmes anglais ou allemands pour être préparé à l’industrie, pour acquérir le génie du commerce et de l’agriculture ? — Mais nous inscrirons dans nos programmes la comptabilité. — Quoi ? c’est pour la tenue des livres que vous sacrifierez l’unité de l’enseignement ? C’est à une question de bureau ou de banque que vous subordonnerez votre culture prétendue générale ? Si vous avez tellement hâte d’apprendre à vos enfans la tenue des livres (qui s’apprend en quelques semaines), faites-leur donner des leçons particulières de comptabilité ou faites-leur suivre au lycée un cours complémentaire. Examinons de près les programmes mêmes de notre enseignement spécial actuel, qui, mieux que les « humanités modernes, » peut prétendre à préparer aux professions industrielles, agricoles et commerciales, et cherchons en quoi il y prépare. L’enseignement classique contient tout ce que contient l’enseignement spécial. Dans les deux programmes, même défilé de littérature française, d’histoire de la littérature, d’histoire générale, de géographie, de mathématiques, de mécanique, de physique, de chimie, d’histoire naturelle, de langues vivantes. Il n’y a guère en plus que des élémens d’économie politique, de législation, de comptabilité. L’enseignement classique pourrait donc dire, avec plus de raison que le héros de La Fontaine :


S’il en faut faire autant afin que l’on me flatte,
Cela n’eut pas bien malaisé[1].
  1. L’économie politique devrait être introduite dans l’enseignement classique à titre obligatoire (les doctrines de M. Frary et celles de M. Combes au sénat en sont une preuve) ; quant à la législation usuelle, elle devrait être introduite à titre facultatif. On peut même aisément sacrifier à la dixième muse : la Comptabilité.