l’Allemagne et la Russie : il y a une question d’antagonisme permanent, une rivalité inévitable de prépondérance. Évidemment, le jeune empereur, qui ne connaît pas le repos, qui court sans cesse du Midi au Nord, d’Osborne à Peterhof, ne voyage pas seulement pour son plaisir ; il peut avoir ses arrière-pensées. S’il ne rêve pas la guerre pour la guerre, pour agrandir son empire, il veut certainement maintenir ce qu’il a reçu, assurer et affermir la suprématie allemande en Europe ; il y travaille par tous les moyens, par ses voyages, par le soin qu’il met à attirer les autres états dans son orbite, à multiplier ses alliances, à neutraliser ses adversaires, en même temps qu’il développe ses forces militaires. C’est le secret de ses agitations, ou sa politique n’a aucun sens. Croit-on que la Russie serait disposée à subir ou à favoriser cette prépondérance déguisée sous une fiction d’alliance, à se laisser neutraliser et cerner par une puissance rivale appuyée sur une partie de l’Europe coalisée ? La Russie y voit clair ; elle sait bien qu’elle n’a plus devant elle la Prusse de Frédéric-Guillaume III et de Frédéric-Guillaume IV, qu’elle a l’Allemagne unie à ses frontières, qu’elle ne peut se garantir que par l’indépendance dans la force et que, si elle a besoin d’alliés, elle ne peut les trouver que parmi ceux qui sont intéressés comme elle à déjouer ou à combattre toute tentative de suprématie en Europe. Pour la Russie, se faire l’alliée active ou la complice de l’Allemagne, devenue ce qu’elle est, serait une duperie. Elle l’a essayé, elle en a recueilli le prix au congrès de Berlin, elle le recueille encore par les embarras qu’elle s’est créés. L’empereur Alexandre III ne semble pas disposé à recommencer le jeu des complaisances qui a permis à l’Allemagne de se constituer, de se mettre en selle, comme disait autrefois ce chancelier qui est aujourd’hui à Kissingen comme le plus simple ministre allemand en disponibilité.
Que reste-t-il donc de cette visite du jeune empereur d’Allemagne en Russie ? Après le plaisir des spectacles militaires et l’agrément d’un échange courtois de politesses de famille, le résultat politique est peut-être assez peu décisif. Il reste du moins, si l’on veut, cette assurance générale que, à défaut d’une intimité ou d’un accord qui ne peut guère se réaliser dans les grandes affaires du temps, on ne demande pas mieux dans tous les camps que de prolonger la paix. L’empereur Guillaume se représente lui-même comme un messager de la paix en voyage ; l’empereur Alexandre III ne cesse de protester qu’il veut la paix, qu’il la respectera tant qu’on ne la troublera pas à son détriment. Une fois de plus, sans doute, on a échangé ces déclarations faites pour dissiper les mauvais bruits, — et tout bien compté, c’est peut-être à cela que se réduit l’intérêt de cette entrevue qui a un moment occupé l’Europe, qui a déjà passé comme bien d’autres.
Pendant ce temps, les affaires de la plupart des pays de l’Europe se